Toajêne

U ne créature microscopique à l’allure humanoïde circule dans la jungle en s’entraînant au calcul mental et en méditant sur le sens de la vie ; deux sujets qui préoccupent fort peu les autres habitants de son univers dont les appétences sont beaucoup plus prosaïques. Vivement impressionné par le film Tarzan, l’homme-singe, le petit bonhomme s’identifie au héros à un tel point qu’il adopte le nom de Moitarzan (moi Tarzan), d’autant plus qu’il tombe follement amoureux de Toajêne (toi Jane). Coup de chance, le professeur Krass le découvre dans une boîte de pétri et constate qu’il commande les bactéries menant le combat contre une terrible maladie qui efface les visages des êtres humains.

Bruno Bozzetto, un octogénaire qui s’est surtout illustré dans le cinéma d’animation, fait preuve d’une exceptionnelle créativité. Aventure, fausse érudition et romance sont convoquées par cet improbable récit à l’humour s’apparentant à celui de Gotlib. L’attitude du scientifique en plein délire mégalomane évoque d’ailleurs l’auteur de la Rubrique-à-Brac lorsqu’il se prend pour Dieu (d’autant plus que le dessinateur lui donne les traits du professeur Burp). La farce étant rarement totalement gratuite, le bédéphile reconnaît dans cet album un discours sur la connaissance, la vanité de la célébrité, l’ambition et la science érigée en religion. Une coïncidence somme toute heureuse alors que la Terre attend impatiemment un vaccin susceptible de mettre KO le COVID-19, lequel permettra à chacun de retourner vaquer en toute quiétude à ses activités prépandémiques.

Grégory Panaccione, qui a notamment prêté ses crayons à Chronosquad, propose des illustrations caricaturales rappelant par moments celles de Mordillo. Son dessin se montre expressif et témoigne d’un agréable sens du mouvement. Alors que le protagoniste est à peine plus qu’une esquisse, les décors apparaissent très souvent d’une grande richesse. L’illustrateur se fait par ailleurs visiblement plaisir en multipliant les cases présentant sa conception de l’infiniment petit. Le lecteur se demande du reste s’il n’aurait pas été approprié de coloriser cette luxuriance.

Un scénario réjouissant, complètement déjanté, mais, au final, cohérent.

Moyenne des chroniqueurs
7.0