L'exilé L'Exilé

H allstein Thordsson est originaire de la terre de feu et de glace. Il y est né, il y a découvert l’amour et il y a tué. Pour ce meurtre, l’Althing, le Parlement du peuple a prononcé son jugement. Après avoir purgé sept années d’exil, l’Islandais retourne sur son île natale accompagné d’un duo de compagnons à la fois bons vivants et redoutables au combat. Seulement, son errance a tellement duré qu’il n’est plus le bienvenu parmi les siens. Et, en ce qui concerne la famille de la victime, certains entretiennent toujours le secret espoir de se venger.

Les éditions Anspach procèdent d'un concours de circonstances, selon le propre aveu de son fondateur. En effet, Nicolas Anspach souhaitait simplement soutenir le projet de son ami Baudouin Deville, visant à consacrer un album à l’Atonium. Plusieurs refus des groupe mainstream le conduisent finalement à créer une structure afin de propulser les aventures de Kathleen (Sourire 58, Léopoldville 60 et bientôt Bruxelles 43) au sommet de la pile de bandes dessinées des lecteurs francophones. Suite à ces succès, l’intéressé décide d’acquérir les droits de deux trouvailles néerlandaises. Tout d’abord, une remarquable biographie orchestrée par Bruno de Roover et mise en images par l’humoriste Luc Cromheecke (Le jardin de Daubigny) ; ensuite, le sujet du présent papier, à savoir une âpre chronique polaire qui narre autant les contrés hostiles qu’un conflit de valeurs.

L’Éxilé est le premier roman graphique de Erik Kriek. Au milieu des années 90, l’auteur hollandais s’est fait connaître grâce à son pastiche de super-héros, Gutsman. Depuis, il est un des illustrateurs les plus prisés des Pays-Bas, louant son trait aussi bien à la presse qu’à l’industrie de la musique (pochettes de disques). Pour cette fiction scandinave, l’artiste s’est sérieusement documenté. Il produit d’ailleurs en annexe de l’ouvrage une liste de ses meilleures lectures. Les patronymes, les lieux, les coutumes font écho à ses recherches et donnent du caractère au récit. Toutefois, l’histoire se résume dans l’opposition entre la quête de rédemption et la soif de revanche. À ce titre, les péripéties accessoires semblent artificiellement entretenues afin de glisser des anecdotes didactiques et peu utiles. Le contenu aurait donc probablement mérité d’être davantage ramassé.

Côté pinceau, Erik Kriek livre une copie inspirée. Il étale avec justesse des masses de noir au-dessus d’un bleu glacial où quelques touches de blanc apportent un contraste salvateur. Le design des personnages insiste sur des trombines de guerriers poilus et/ou chevelus. Le dessinateur évite ainsi de désincarner ses protagonistes en leur donnant un charme inapproprié. Leurs peaux paraissent alors tannées par les embruns du grand nord et couturées de cicatrices de multiples affrontements, et non joliment gommées au poivre de Ceylan et hydratées à l’huile de jojoba. Plus narratives, les séquences de visions et autres flash-back sont mises en avant par une substitution de l'azur par un rouge sang du meilleur effet. Le rendu final de ses pages est exemplaire et évoque parfaitement la dureté nordique. Quant à la tenue du manuscrit, il a été initialement publié par Scratch Book dans un format de qualité. La jeune maison belge a procédé à une impression à l’identique, arborant de luxueuses feuilles Munken Linx de 130 grammes, une couverture mate et un dos toilé.

En définitive, L’Éxilé prime par la beauté de ses planches et par le sérieux de sa reconstitution. Alors par Odin et tous les Aesir, voguez chez votre libraire y découvrir comment partir en Viking, répondre au Holmgang, écouter un Skald, boire le Mede et aimer au point d’accueillir le cadeau de Frey. Vous ne serez pas déçus, d’autant que l’objet n’est pas dénué d’attrait !

Moyenne des chroniqueurs
7.0