Gentlemind 1. Gentlemind - Épisode 1

N ew York, début des années 1940, Navit hérite de Gentlemind, un magazine coquin en manque de lecteurs, dans lequel le milliardaire H.W. Powell faisait essentiellement la promotion des chanteuses et danseuses recrutées par ses salles de spectacles. La jeune dame, qui n’a aucune expérience dans le monde de l’édition, met tout en œuvre pour le transformer en une publication moderne à succès.

Les Espagnols Juan Diaz Canalès et Teresa Valero dépoussièrent le mythe du rêve américain. L’héroïne, juive orthodoxe en rupture avec sa communauté, n’a peur de rien ni personne. Elle rejette sa religion, vit sa sexualité comme elle l’entend et s’impose dans les affaires. Dans ce récit au contenu féministe, il est tout de même ironique de constater que, pour atteindre ses objectifs, elle s’appuie sur quatre hommes : un richissime industriel, un avocat portoricain, un mystérieux écrivain et son amoureux, Arch, illustrateur au chômage. En retour, telle une fée, elle fera ressortir le meilleur (la compassion, le talent) ou le pire (l’orgueil, la jalousie, la lâcheté) de chacun. Il est intéressant de noter que presque tous ne font que passer : l’un meurt, l’autre part en Europe et un troisième n'existe qu'à travers sa prose.

Le coup de pinceau d’Antonio Lapone se repère au premier coup d’œil. Un trait semi-caricatural aux accents rétro et des personnages tout en légèreté. Le dessin est toutefois moins rond que dans ses autres travaux ; les faciès, notamment celui de la protagoniste, sont souvent anguleux, cette dernière se montre d’ailleurs parfois plus vieille qu’elle ne le devrait. Cela dit, le charme désuet du travail de l’auteur de Greenwich Village et de La fleur dans l’atelier de Mondrian demeure intact. Aussi, l’artiste fait preuve d’une intéressante économie de couleurs alors que chacune des cases est largement dominée par une teinte. Le marron prévaut souvent, mais le bédéiste éclaircit généralement sa planche avec une ou quelques vignettes rouge, bleu ou verte. Enfin, les clins d’œil à la culture populaire sont omniprésents et il est agréable de scruter les décors pour découvrir des pastiches de publicités et de revues.

La démarche artistique d'Antonio Lapone rappelle celle de Woody Allen. Et pas seulement parce que la grosse pomme est leur muse. Tous deux ont le talent de raconter des histoires en apparence légères qui peuvent se révéler plus complexes qu'elles ne le semblent à première vue. Avec pour cadre l’Amérique de la Deuxième Guerre mondiale, alors que la propagande s’en donne à cœur joie, Gentlemind apparaît comme une vaste réflexion sur l’image et le temps. Il y a d’abord l’égérie au sommet de sa beauté qui, dessinée par son amant, paraît nue à la une de son périodique, puis les clichés d'une photographe, Maggie, qui gardent la trace des événements, un romancier comparant un amour naissant au visage dévoilé par les produits chimiques dans la chambre noire, sans oublier les kiosques à journaux où, mis côte à côte, les hebdomadaires et les mensuels synthétisent l’actualité politique et culturelle du moment.

Le portrait d’une époque, d’une ville et, d'abord et avant tout, d’une femme libre.

Moyenne des chroniqueurs
8.0