Mangez-le si vous voulez

M ardi 16 août 1870. À quelques semaines de partir pour la guerre contre les Prussiens, le jeune Périgourdin Alain de Monéys, apprécié de tous car attentionné, se rend dans le village voisin à la foire de Hautefaye. Peu après, la foule, prise de folie, l'aura lynché, torturé, brûlé vif et même, mangé. Pourquoi une telle atrocité ? De pauvres paroles mal interprétées qui auront fait de lui un ennemi de la France et de l'empereur ! Tout de même !

Le monde de la bande dessinée aime Jean Teulé. En effet, après Le Montespan, Je, Francois-Villon, Entrez dans la danse, Le magasin des suicides ou encore Charly 9, c'est au tour de son livre le plus violent d'être mis en images.

L'histoire est construite à partir d'un fait réel sidérant et il vaut mieux avoir le cœur et l'estomac bien accrochés pour s'y atteler. Et c'est là tout le talent de conteur de Jean Teulé et du scénariste Dominique Gelli. Les chapitres se succèdent suivant le parcours -le calvaire plutôt- de la victime à travers les différentes parties du bourg. Le lecteur n'est épargné d'aucun détail. Au départ, un malheureux quiproquo, puis la haine collective enfle, la férocité explose et la barbarie jaillit. La foule ne réfléchit pas, elle suit un meneur et poursuit son délire jusqu'au bout, en laissant la raison, le bon sens et la morale complètement de côté. À part une poignée de personnes plus lucides que les autres qui feront tout pour l'épargner, son sort est scellé, le bouc-émissaire est ferré. Le rythme et la narration créent, à juste titre, l'impression d'une véritable descente aux enfers qui ne s'arrête que lorsque l'innommable est commis… Et que les coupables reprennent leurs esprits. Cela pourrait long mais de fait, le spectateur ressent d'autant mieux cette souffrance.Le ton employé est parfait car cynique, saupoudré d'humour noir et d'une pointe de fantastique (seule liberté prisse par rapport à oeuvre originale),

Aux antipodes de sa création précédente, Raoul Fulgurex, l'artiste change ici complètement de style, avec un rendu possédant beaucoup de caractère. Un fin trait d'encre pour les contours et des nuances de gris vaporeux afin de lui donner une impression de surréalisme ; ajoutez quelques touches de rouge stratégiques et vous aurez sous les yeux des illustrations magnifiques. Il parait presque gênant d'employer un tel adjectif, compte-tenu du terrible sujet. Il fallait également une mise en scène taillée sur-mesure, de manière à susciter la fascination plutôt que le dégoût et bien sûr, éviter la monotonie. Ainsi, la variation des points des vue et des cadrages, ainsi que les mouvements sont étudiés de manière très audacieuse.

Véritable tour de forcer pour Dominique Gelli qui offre dans ce Mangez-le si vous voulez une interprétation à la fois fidèle et personnelle d'une oeuvre d'une noirceur et d'une barbarie absolues. Attention, réservée à un public averti !

Deux autres adaptations de romans de Jean Teulé sortiront prochainement : Fleur de tonnerre aux éditions Futuropolis et Ô Verlaine aux éditions Steinkis, le 19 novembre.

Moyenne des chroniqueurs
7.0