Celestia

L a "Grande invasion" a passé sa route et a fait de Celestia la millénaire un sanctuaire où survivent nombre de trafiquants en tout genre et une poignée de jeunes télépathes. Mais au-delà des murs invisibles de la cité lacustre, il existe un monde en reconstruction qu’il reste à découvrir pour Dora et Pierrot…

Sorti en Italie chez Oblomov Edizioni en deux temps, Celestia arrive en France en cette fin août 2020 grâce aux éditions Atrabile, mais sous la forme d’un one shot de deux cent soixante-douze pages.

Ce nouvel album de Manuele Fior peut déconcerter à plus d’un titre ! Tout d’abord, par sa temporalité indéterminée : univers parallèle, dystopie… ? Si finalement la question n’a pas forcément d’importance, elle demeure toutefois en suspens. Ensuite, par le lieu, cette ville rappelle Venise, mais une Sérénissime qui aurait perdu toute superbe, ne laissant subsister d’elle-même que de fantomatiques silhouettes résistant vainement aux assauts de l’acqua alta. Enfin, il y a ce mal dont personne n’a vraiment souvenir, mais qui a cependant conduit à l’éviction d’une humanité dont il ne persiste que quelques traces aussi inattendues que disparates.

Intuitivement, le dessinateur transalpin a mis beaucoup de lui-même, mais pour qui ne possède pas les clefs de son écriture, les aventures de Dora et Pierrot demeurent troublantes à bien des égards. Au fil d’un scénario qui ne cesse d’interroger sur sa finalité s’installe alors l’indicible désarroi de ne pouvoir appréhender qu’une infime partie d’un propos par trop riche, et ce faisant, de passer à côté de l’essentiel !

In fine, entreprendre la lecture de cet album implique de délaisser tout cartésianisme et de s’abandonner à l’uchronie onirique de Manuele Fior qui structure son récit au gré de thématiques qui s’agencent en un patchwork émotionnel relevant plus de l’abstraction que de la fiction. Ainsi en est-il de Celestia où les rêves architecturaux de Le Corbusier et Frank Lloyd Wright s’insèrent dans le palimpseste de pierre érigé par quelques disciples imaginaires de Codussi ou Longhena.

Cinq ans auront été nécessaires pour improviser Celestia, puis construire un récit énigmatique porté par une mise en couleurs à la gouache qui ne peut laisser insensible. À regretter néanmoins un format qui ne peut pleinement rendre compte des émotions, des espoirs comme des traumatismes qui traversent et animent le moindre des personnages.

Moyenne des chroniqueurs
7.0