Au Bonheur des Dames

F raîchement débarquée à Paris avec ses frères, Denise Baudu se cherche un travail, dans la vente de détail en particulier. Son oncle l’aurait bien engagée, mais les affaires vont mal depuis qu’Octave Mouret a décidé d'agrandir Le bonheur des dames et d’écraser ainsi la concurrence. Sans ressource, la jeune femme est obligée d’aller travailler dans ce temple de la consommation. Efficacité, rapidité, avidité, le monde qu’elle découvre est sans pitié. Passé le premier choc, elle comprendra rapidement comment se tailler une place au soleil sans renier ses idéaux.

Roman sur l’ambition, la mutation du commerce et l’évolution sociale et urbaine que ceux-ci engendrent, Au bonheur des dames fait partie de la grande fresque d’Émile Zola, Les Rougon-Macquart. C’est donc à un monument de la littérature française que s’est attaquée Agnès Maupré. Si la tâche semble titanesque, la dessinatrice a néanmoins su profiter de la précision et la richesse des descriptions du naturalisme cher à l’auteur de Nana pour dépeindre les façades et les nouveaux boulevards nés durant le Second Empire. De plus, comme un bon dessin vaut de nombreuses pages de texte, elle a parfaitement pu conserver le fond du propos. À cent-cinquante ans de distance, celui-ci a conservé sa force et, malheureusement pour le genre humain, toute son actualité. Le capitalisme sauvage du XIXe siècle n’est guère différent du néolibéralisme d’aujourd’hui, tandis que la condition féminine ne se voit guère plus considérée au sein des conseils d’administration.

Le découpage se montre toutefois très serré et certains dialogues soutenus, voire envahissants. Cependant, le trait tout en légèreté – quels belles silhouettes et drapés aériens ! - rend la lecture agréable et fluide. Maupré arrive à « tenir » remarquablement bien son adaptation sur toute sa longueur sans rien dénaturer de l’intrigue d’origine. Elle s’octroie même le droit de glisser quelques réflexions personnelles. Coup de chapeau également pour la mise en couleurs aux tons francs et modernes qui renforce un peu plus les similitudes entre les époques.

Excellente mise en image d’un classique intemporel, Au bonheur des dames n’a rien perdu de son pouvoir d’évocation et de provocation. Un pensum à garder à l’esprit lors d’une prochaine commande sur internet.

Moyenne des chroniqueurs
7.5