Pot-bouille

À l’automne 1861, Octave Mouret arrive de sa Provence natale et s’installe à Paris, rue de Choiseul, à proximité des nouveaux grands boulevards. L’acariâtre concierge l’accueille et lui présente les occupants de la maison bourgeoise où il résidera, dont même les escaliers sont chauffés : le père Vabre, le propriétaire, qui vit avec sa fille Clotilde mariée à Duveyrier ; madame Juzeur, laissée par son époux deux jours après les noces ; les Pichon à la discrétion maladive ; les Josserand menés par une mère hystérique ; les Campardon, mais aussi un « monsieur qu’on ne voit jamais », un autre « qui fait des livres » et une escouade de domestiques, au flux de cancanage redoutable. « Que des gens comme il faut » conclut le cerbère. Octave est prêt pour faire sa cour à cette assemblée et à en découvrir la réalité sordide derrière un affichage respectable.

Publié en 1882, Pot-Bouille est le dixième volume des Rougon-Macquart d’Émile Zola. Préambule à l’épopée commerciale Au Bonheur des dames, il est avant tout un réquisitoire féroce contre la petite bourgeoisie. Cédric Simon et Éric Stalner, déjà auteurs en 2019 de l’adaptation – très réussie – de La Curée, ont respecté à la lettre le projet littéraire de l’écrivain naturaliste. Octave, nouveau Rastignac venu pour conquérir la capitale, est le vecteur par lequel l’hypocrisie des relations sociales va être contournée, pour accéder aux coulisses des logis, des familles et des individus. La respectabilité d’apparat est mise à mal par un florilège d’adultères, de jalousies et de haines. Nul discours moralisateur de la part de Zola ni du tandem Simon-Stalner, mais le constat brutal de l’écart entre l’apparence et l’intime, de l’incompatibilité des deux et de la nécessaire complexité, voire schizophrénie, des relations entre les individus.

Comment présenter cela sans sombrer dans la sinistrose ? Grâce à l’humour. Zola a écrit un roman comique. Simon et Stalner lui emboîtent le pas. Le scénario – notamment le découpage et les dialogues - est ciselé pour mettre en évidence l’aspect grotesque des personnages. L’apport majeur du neuvième Art est de donner des gueules à tous ces pantins : embonpoint couperosé de l’aviné oncle Narcisse, silhouette décharnée du faible père Josserand, arrogance animale de sa femme, sécheresse de la délaissée madame Juzeur.

Galerie de portraits truculents, voyage au pays du mensonge crasse et du snobisme écœurant, cette adaptation impeccable d’un des plus incisifs romans du 19è siècle, est d’une pertinence triste de nos jours. Parce qu’il est toujours nécessaire de dénoncer les travers d’une société et qu’il est urgent d’en rire, c’est une lecture indispensable, à prolonger en (re)découvrant le texte original.

Moyenne des chroniqueurs
8.0