Ciao bitume

« Vous voulez vous barrer de cette zone ? OK, je comprends, vous avez mille fois raison. Et pour tailler la route, vous avez dégoté... Hein, quoi ? Une pelleteuse de chantier format XL ? Ça va pas bien les frangins ? Ce truc plafonne à quarante-cinq km/h et est aussi maniable que la chaise roulante de ma tante (celle qui pèse cent trente kilos)… Le plein est fait, au moins, c’est déjà ça. Bonne bourre les gars, qu’on ne vous revoit pas par ici. Faites gaffe quand vous serez à la campagne, les bouseux, ce ne sont pas des tendres. »

Version hard-core des réflexions d’Henry Thoreau revisitées façon roman noir, Ciao bitume est un récit oppressant mêlant violence et retour à la nature. Contrairement à Tom Tirabosco et sa Femme sauvage, Thomas Verhille n’offre que peu d’espoir à ses héros et au lecteur. La ville, le monde des hommes, est mauvaise et ce duo de zonards veut s’en échapper à tout prix. Arrivé dans l’arrière-pays, la situation n’est guère meilleure, car la méchanceté et la cruauté règnent encore, toujours à cause des humains. La seule chance pour s’en sortir, c’est la fuite vers l’avant, aller un peu plus loin afin de trouver la paix.

L'enjeu est simple, sans concession et très bien mis en image. Noir et blanc charbonneux entre Howard Cruse et Charles Burns (période Black Hole), découpage classique avec son lot d’images-chocs (amis des animaux, soyez prévenus, celles-ci sont souvent insoutenables), l’ouvrage s’avère en tout point maîtrisé. Artistiquement, le dessinateur se démarque particulièrement par la manière dont il dépeint les extérieurs. Sa vision de l’environnement n’est en rien idyllique. Non, si les grandes compositions montagneuses se montrent moins chaotiques que les zones urbaines, elles n’en sont pas moins inquiétantes. Il s’agit d’un univers nouveau et celui qui ose y pénétrer devra apprendre ses règles s’il souhaite s’y établir.

Scénario sombre dans l’air du temps, accord parfait entre propos et illustrations, un coup de pinceau impressionnant, Ciao Bitume est un excellent premier album cri du cœur, à la fois personnel et universel.

Moyenne des chroniqueurs
7.0