Si je reviens un jour... - Les lettres retrouvées de Louise Pikovsky

Élève brillante, Louise pourrait prétendre au meilleur des avenirs. Mais, sur sa poitrine, l’étoile jaune la condamne à un destin des plus sombres. À l’été 1942, la jeune fille s’inquiète du devenir de son père, détenu à Drancy. Ses longues journées estivales s’écoulent entre lectures et courriers pour madame Malingrey, sa professeure de lettres classiques. À la rentrée, si Abraham Pikovsky a été libéré, plusieurs élèves manquent à l’appel. Où sont-elles ? Les mois passent, faits d’incertitude et de précarité. Arrive le 22 janvier 1944. L’adolescente, ses deux sœurs, son frère et leurs parents sont appréhendés, enfermés, déportés. Sans retour.

« Nous sommes tous arrêtés. Je vous laisse les livres qui ne sont pas à moi et aussi quelques lettres que je voudrais retrouver si je reviens un jour. Je pense à vous, au Père, à Mlle Arnold, et je vous embrasse. »

Rédigés dans la hâte, les derniers mots de Louise destinés à son mentor ont été retrouvés en 2010, avec d’autres missives et documents, dans une boite oubliée au fond d’une armoire du lycée parisien Jean-de-la-Fontaine. À partir de cette précieuse matière, le fil a été remonté pour aller à la rencontre de celle qui les avaient écrits, découvrir son sort et celui de sa famille. Du travail de la journaliste Stéphanie Trouillard et de l’enseignante Khalida Hatchy est né un documentaire, diffusé en 2017 par France 24. Et, aujourd’hui, les éditions Des ronds dans l’O publient une bande dessinée racontant la vie de cette victime de la Shoah, complétée par un dossier reprenant ses textes, ainsi que des photos.

Ancrant son propos dans le devoir de mémoire, la scénariste débute le récit par une scène de transmission : celle de la remise des souvenirs de l’héroïne conservés par Madame Malingrey à une de ses collègues, dans les années 80. La fin dévoile la découverte de la fameuse boite mise de côté. Entre les deux, la lecture de la correspondance projette au sein de la famille Pikovsky, dans Paris occupé. La narration se déroule alors chronologiquement, alternant entre le quotidien domestique ou scolaire et les pensées que le personnage principal couche sur le papier. La vision aiguë que la rédactrice porte sur les événements saisit aux tripes, tandis que l’ombre de la guerre, grandissante, s’immisce entre ses lignes, ses réflexions résonnant alors comme une prémonition de ce qui va advenir. Si l’inquiétude et la crainte se révèlent omniprésentes, quelques rares moments de joie partagée apportent une touche de grâce d’autant plus émouvante qu’elle est éphémère.

Ce portrait de la lycéenne et des siens est soigneusement mis en image par Thibaut Lambert (L’amour n’a pas d’âge, De rose et de noir, Au coin d’une ride). Sous le trait semi-réaliste et expressif du dessinateur belge, Louise et ses proches revivent, occupant à nouveau leur petit appartement de Boulogne ou arpentant les rues parisiennes. Leurs sourires cèdent la place à l’angoisse et aux pleurs, retenus. Pour bien marquer les différentes époques, le découpage des planches se fait autour de vignettes – de deux à huit – aux contours non marqués, mais de forme rectangulaire pour les scènes se déroulant dans les années 80 puis en 2010, et arrondie pour celles relatant l’histoire de la petite Pikovsky. Les couleurs, sobres, accompagnent agréablement l’ensemble et, seul le passage où le père raconte comment lui et les siens ont fui les pogroms perpétrés en Ukraine est doté de nuances sépia, qui tranchent avec le reste.

Puissant par sa portée et la sensibilité qu’il dégage, Si je reviens un jour… Les lettres retrouvées de Louise Pikovsky constitue un témoignage essentiel à mettre entre toutes les mains. Grâce à lui, celle que des criminels ont annihilée et réduite en cendres emportées par le vent, voit se ranimer sa flamme qui transperce les plis sombres de l'Histoire pour que nul n'oublie.

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