Nagasaki

L a vie de Shimura-san est parfaitement ordonnée. Ce vieux célibataire mène une vie réglée comme du papier à musique où l'imprévu n'a pas sa place. Pourtant, il ressent un malaise diffus, comme si un grain de sable faisait gripper la mécanique parfaite de sa petite routine. Scrupuleusement, il mène l'enquête.

Nagasaki est l'adaptation du roman du même nom, signé Eric Faye et lauréat du grand prix du roman de l'Académie Française en 2010. Lui-même est inspiré d'un fait divers survenu en 2008 à Fukuoka. Cette histoire, passé l'aspect anecdotique et le petit quart d'heure de gloire virale qu'elle connût sur internet, se révèle beaucoup plus intéressante qu'il ne paraît de prime abord. Elle traite de solitudes, de déclassement social, d'une grande violence moderne lorsqu'on y réfléchit. Si tout est dit avec une grande retenue, comment ne pas prendre conscience de la cruauté à l’œuvre ?

C'est là que la travail d'adaptation d'Agnès Hostache ose un parti-pris très intéressant. Après plusieurs années passées dans la publicité puis dans une agence d'architecture intérieure, elle se consacre désormais exclusivement au dessin, cet ouvrage étant sa première bande dessinée. Grâce à ces expériences précédentes, elle arrive à retranscrire à la perfection l'immuabilité de la vie de Shimura-san, puis d'exprimer le malaise qui le saisit. Son petit appartement devient un personnage à part entière, impression renforcée par les cadrages qui, souvent, amputent les corps, les transformant en des objets comme les autres.

Le style épuré et la construction extrêmement précise des planches crée une ambiance très particulière, laissant le lecteur souvent à la marge, soit comme un voyeur, soit comme un intrus qui se dissimule dans les angles morts. Il induit un creux, une partie manquante.

Il n'est pas étonnant que cette bande dessinée soit publiée par Le Lézard Noir. L'âme japonaise s'y retrouve indéniablement. Le récit se déroule tout en subtilité et finesse. Il scrute l'âme de ses personnages avec précision et ne cède pas à la facilité. Une fois refermé, il est difficile de quitter Nagasaki. Il subsiste un sentiment indéfinissable, un questionnement sur ce qui s'est joué dans ces pages, sur ce qui s'est dit et ce qui a été tu. Souvent, de telles zones d'ombre sont irritantes. Elles laissent à penser que l'auteur n'a pas voulu décider ce qu'il voulait transmettre. Ce n'est pas la cas ici. Il reste une part d'inconnu, de fatalité... puis vient le dernier mot qui clôt l'affaire : Voilà.

Moyenne des chroniqueurs
8.0