La fin du monde en trinquant La Fin du monde en trinquant

N ikita Petrovitch ne s'attendait pas à ce qu'un simple service rendu à son ami le chancelier Troubeskoy le mette autant dans l'embarras. Le célèbre astronome se retrouve flanqué d'un élève pour le moins... limité avec lequel il va devoir traverser la toundra pour se rendre en Sibérie. Là-bas, il aura besoin de toutes ses connaissances et de sa verve pour avertir la population de sa découverte : l'arrivée imminente d'une météorite qui va raser la zone du village de Vanavara sur une circonférence de plus d'une centaine de kilomètres ! Le temps presse.

Après la religion et ses divers fanatismes avec Le Crépuscule des idiots et avant de proposer une réédition de son Singe qui aimait les fleurs, habillé de nouvelles couleurs à l'aquarelle, Jean-Paul Krassinsky signe une nouvelle histoire complète chez Casterman.

La fin du monde en trinquant est un récit enlevé, reposant sur un duo aussi décalé que complémentaire. L'auteur, qui continue de varier époques et lieux, choisit de placer le cœur de son intrigue en Russie, en plein siècle des Lumières. Comme à l'accoutumée, l'artiste use de personnages animaliers pour mieux moquer la bestialité des hommes, leur cruauté, leur violence, leur dureté. Loin de se limiter à servir des personnages lisses à la psychologie attendue, il joue des préjugés, autant physiques que sociétaux, pour les faire évoluer et les laisser se révéler plus complexes qu'à première vue. Le scientifique sera-t-il toujours guidé par sa raison, l'idiot se verra-t-il jugé sur autre chose que ses lacunes, les plus grands voleurs se croisent-ils plus souvent sur les routes perdues ou dans les salons luxueux ? Et l'amour dans tout ça ?

Le créateur des Fable de la poubelle tient ainsi en haleine tout au long des deux cent vingt-six planches en réservant bien des péripéties à ses deux héros. D'ailleurs, l'enchaînement des rebondissements n'offre guère de répit et, entre tension et éclats de rire, il devient difficile de lâcher l'album avant sa conclusion. Généreux dans sa pagination et son action, ce titre l'est également dans ses décors où les aquarelles de l'auteur font merveille. Si les teintes restent sobres - du gris, du brun, du vert et du bleu - le travail sur la mise en couleurs s'avère appréciable pour appuyer une ambiance, souligner un passage ou marquer une rupture. L'ensemble s'avère équilibré et maîtrisé, assez pour passer outre quelques séquences surprenantes (peut-être dérangeantes pour certains) et une conclusion heureuse dispensable.

La fin du monde en trinquant se révèle être une fable tour à tour mordante, douce, folle et souvent drôle. Du Krassinsky pur jus en somme, qui, pour le plus grand bonheur de son public, parvient à se renouveler et surprendre tout en offrant un (très) bon moment de lecture.

Moyenne des chroniqueurs
7.0