Saltiness 4. 4/4

M is en avant à la fois par la sélection officielle Angoulême 2019, puis par celle du prix Asie de la critique ACBD 2019, Saltiness est une lecture détonante qui n’usurpe pas son entrée au catalogue des éditions Akata dans la collection WTF - comprenez What the fuck.

Minoru Furuya raconte le quotidien de Takehiko, 31 ans, sans emploi et sans ami. Vivant au crochet de sa famille, l’intéressé est intimement convaincu d’être supérieur. Pour en être certain, il se met régulièrement à l’épreuve. Sa pensée lui dicte de survivre une quinzaine de jours, en pleine forêt, enterré jusqu’aux épaules. Très bien, il s’exécute et triomphe grâce à son moral d’acier.

Isolé, son esprit tourne en boucle. Sa raison le persuade de son éminence intellectuelle jusqu’à adopter un comportement hautain et dédaigneux. Fou aux yeux des autres, un fardeau pour ses proches, son grand-père est amené à lui révéler également que son comportement est scruté par les voisins et que tout cela pèse sur la vie de sa sœur Ai. L’électrochoc est efficace. Le jeune homme part à Tokyo, sans un sou et sans projet. Il rencontre rapidement d’autres inadaptés qui se prennent d’affection pour lui. Il devient le mâle alpha d’un groupe constitué d’un clochard obèse, menteur et voleur et d’un étudiant timide et naïf. La série emprunte alors la trajectoire du récit initiatique et l’artiste, d’un ton décalé, pointe un regard acerbe sur la société japonaise.

Dans ce dernier volume, le trentenaire est de retour. Il a fait du chemin, son comportement demeure anormal, mais il fait des efforts pour s’insérer dans sa communauté. Il travaille, peu ou prou, et continue d’attirer tout un tas d’individus égarés : une auteure a succès en mal d’inspiration, un pompiste amoureux et le fils de son employeur qui reste volontairement muet. Le scénario est très équilibré. L’humour de situation allège les dialogues nihilistes. Les tempéraments des personnages se confrontent pour faire avancer la narration jusqu’à deux points culminants, deux apparitions diversement accueillies.

Le rendu graphique est de haute volée. Le mangaka est mesuré, il ne fait pas étalage de sa science des cadrages dans des cases déformées. Il opte modérément pour des plongées et contre-plongées bien maîtrisées afin de valoriser, ou isoler, son personnage principal. Contrairement à de nombreux manga, les protagonistes présentent de réels traits japonais. Ils sont parfaitement identifiables, chacun ayant un profil bien marqué, avec des caractéristiques physiques directement reconnaissables. Les pages se succèdent en noir et blanc, tramés à différents niveaux de gris. Quant aux arrière-plans, en pleine nature comme en ville, ils sont idéalement posés.

Saltiness respecte incontestablement son cahier des charges, une œuvre pour adulte cherchant à être bousculé sans tomber dans une provocation de bas étage. Alors, si vous faites partie du public-cible, foncez. Vous ne serez pas déçu(s).

Moyenne des chroniqueurs
6.0