Formica - Une tragédie en trois actes

« Les dimanches à la con
De quand j'avais disons
Dix ans
Me reviennent souvent
Pas toujours mais mettons
Tout l'temps
Les dimanches à la con
D'mes automnes monotones
D'enfant
Faisaient d'moi un santon
Sur le tapis du salon
 »

Toujours motivé pour revisiter les genres et les styles (saison 2019-2020), Fabcaro s’attaque aux réunions de famille et à la tragédie antique dans Formica. Évidemment, l’exercice serait vain sans une mêlée sur la ligne des vingt-deux mètres et, surtout, une catastrophe aérienne. Un dernier coup de peigne au poulet, trois-quatre prises de kung-fu et une bise sur le kebab, bienvenue et bon appétit.

L’ouvrage rentre dans la catégorie réaliste (ou à peu près) de la bibliographie du dessinateur d'Et si l'amour c'était aimer ?. Au premier regard, il pourrait passer pour une énième variation reprenant des sujets déjà rencontrés précédemment (la communication, le groupe, les dérives de la pâtisserie industrielle, etc.). Dans les faits, il se révèle très rapidement être une expérience narrative explosive du calibre de Zaï, zaï, zaï, zaï. Là, où le héros courait à travers champs, les convives de Formica restent à l’intérieur et respectent la sacro-sainte unité de lieu. De plus, ne se limitant absolument pas qu'au drame annoncé annoncé en couverture, Fabcaro se fait un malin plaisir à piocher dans toute l’histoire du théâtre en guise de fil de conducteur à cette succession de scènes improbables truffées de dialogues absurdes au possible. Pirandello faisait chercher un auteur à ses acteurs, dans le cas présent, ceux-ci se demandent bien de quoi ils pourraient parler. Un peu plus loin, un protagoniste brise le quatrième mur pour s’adresser directement au public. Pimentée de ces clins d’œil, la lecture n’en devient que plus décalée et, il faut bien l’avouer, totalement jouissive.

Outre la situation générale - qui n’a pas dû endurer de tels dîners interminables en compagnie de parents peu diserts ? -, le petit jeu des références mis en place par le scénariste génère un véritable sentiment de complicité avec le lecteur. L’effet de miroir s’avère total. Résultat, après quelques pages, il est quasiment impossible de savoir qui observe qui. Cette confusion est renforcée par la simplicité des illustrations (décors minimalistes, personnages au rendu étrangement réaliste car détourés à partir de photographies) et par un découpage ouvert servant parfaitement la narration. Il y a même des notes de couleurs pour ceux qui n’aiment pas le noir et blanc. Que demander de plus ?

En conclusion, oui, après quarante bouquins, Fabcaro a encore du jus dans la plume et il vous attend de pied ferme ! Rendez-vous au prochain album.

Moyenne des chroniqueurs
7.5