Clyde Fans

P roduits de qualité à des prix justes, Clyde Fans est une entreprise à laquelle vous pouvez faire confiance. Mais qui se cache donc derrière cette raison sociale connue de tous ? Ils sont deux frères à avoir hérité de la compagnie créée par leur père. Abraham et Simon Matchcard, le premier est plus volubile et s’occupe du contact avec les clients, le second, plus renfermé, se concentre plutôt sur la gestion au jour le jour. Une belle équipe pour un beau succès commercial ? Méfiez-vous des apparences, comme toutes les organisations, celle-ci renferme de nombreux et douloureux secrets.

Vingt-cinq ans, c’est le temps qui aura été nécessaire à Seth afin de boucler son magnum opus, Clyde Fans. Partagé en cinq chapitres pour autant d’époques, l’album traverse le XXe siècle, s’attarde un instant sur les mutations de l’économie, avant d’offrir une plongée incroyable dans les personnalités de cette fratrie déchirée par les aléas de l’existence. Véritables alter-ego dédoublés de l’auteur, ces deux portraits en miroir dissèquent case après case, avec une finesse et un infini souci des détails, les relations humaines. Tout y est, des traumas de l’enfance au naufrage de la vieillesse, les souffrances intimes jamais confrontées qui se transforment en rancœurs muettes et les inévitables regrets qui torturent encore et toujours des années après. Heureusement, il y a aussi des moments de grâces, ces petites victoires qui mettent du baume au cœur et qui forcent à continuer. Calme et mesuré, le créateur de La vie est belle malgré tout prend son temps et ne laisse aucun recoin de la psyché de ses héros inviolée. Le résultat est dense, parfois exigeant, mais d’une extraordinaire acuité et beauté.

Sur le plan technique, l’élégance et le raffinement sont également au rendez-vous. Passé outre les variations logiques du trait, la conception de l’ouvrage s’est étendue sur plus de deux décades rappelons-le, la richesse des approches narratives est à souligner. Tel un soliste de jazz, le dessinateur multiplie à foison les manières et les rythmes de son immense récit. Monologue, vue subjective, textes descriptifs, longs passages muets, etc., il utilise immanquablement le procédé le plus adapté à son discours et à son humeur. Étonnamment, l’ensemble conserve sa cohérence sur les cinq cents pages que compte le livre. La bichromie sévère et l’art consumé du découpage (la dernière partie est une véritable leçon de minimalisme et de suggestion au service du récit) procurent la colonne vertébrale indispensable à cette implacable introspection.

Œuvre totalement aboutie jusqu’à sa maquette irréprochable, Clyde Fans est une lecture envoûtante. Seth y a rassemblé ses fantasmes et certainement ses blessures, sans oublier, évidemment, toute la nostalgie et l’amour qu’il porte au passé de son Ontario natal.

Moyenne des chroniqueurs
9.0