Mishima - Ma mort est mon chef-d'œuvre

Écrivain révéré de son vivant doté d’une personnalité insaisissable,Yukio Mishima (1925 – 1970) aura marqué tant ses contemporains que le monde de la littérature mondiale. Durant sa courte existence, il a été le témoin de la destruction du Japon impérialiste lors de la Deuxième Guerre mondiale, puis de sa miraculeuse renaissance économique. Moderniste et nostalgique des traditions, cet héritier des samouraïs par sa grand-mère et fils de l’ère Meiji (qui avait ouvert l’Archipel au monde à la fin du XIXe siècle) n’arriva jamais à trouver un juste équilibre pour s’épanouir totalement. Finalement, las de voir les mœurs occidentales transformer la société nippone, il devient farouchement nationaliste et sombre peu-à-peu dans un extrémisme tenant plus du fantasme que de la raison. De plus, narcissique névrotique, il comprend rapidement que malgré tous ses efforts, son intellect et sa silhouette finiront irrémédiablement par décliner. Face à ces insupportables réalités, il met en scène un coup d’éclat improbable et se suicide par seppuku après une dérisoire tentative de soulèvement des forces armées.

Classique par son respect de la chronologie et complet dans son contenu, Ma mort est mon chef-d’œuvre offre un portrait cohérent de l’individu et de ses différentes incarnations. Très documenté et, visiblement, ayant bien potassé l'œuvre de son sujet, Patrick Weber décrypte et présente avec beaucoup d’acuité les différentes facettes de cet artiste hors-norme. En effet, Mishima est un être multiple et complexe : romancier doté d’un sens de l’observation et de synthèse implacable, homosexuel plus ou moins refoulé (il ne se déclarera jamais comme tel, se maria même et eut des enfants), amoureux des corps - spécialement du sien - il fut également acteur de cinéma et, malgré un attachement farouche aux usages ancestraux, il ne cessa de s’intéresser aux nouveautés de son époque. Pour faire le tour d’un tel personnage, le scénariste a pu heureusement compter sur la logique permanente du Japonais. Intellectuel glacé, ce dernier ne prenait jamais de décisions sans raison. Chacune de ses actions découlaient d’analyses mûrement réfléchies, souvent développées dans ses écrits. L’auteur du Pavillon d’or n’agissait pas par hasard et Weber a pu aisément remonter son cheminement, sans oublier de le replacer dans son temps. L’autre protagoniste de l’album, le Japon n’est pas oublié. Même blessure, même déchirement entre passé et modernité, une partie des doutes existentiels de Mishima se confondent évidemment avec ceux de son pays.

Directes, simples sans être simplistes ni tomber dans le minimaliste, les illustrations de Li-An se montrent parfaitement adaptées pour dépeindre cette destinée marquée par les obsessions et la fascination. Le trait, mêlant rigueur et légèreté, reste très libre et transmet les émotions, même les plus voilées. Au sein d'une seule planche, les regards passent de la sévérité à la séduction (pour une idée, une personne) avec un naturel déconcertant. Les yeux scrutent tandis que l’esprit reste toujours à l’affût. Petit bémol cependant, la rareté, voire l’absence, de quelques grandes compositions urbaines ou cartes géographiques se font remarquer. Celles-ci auraient facilité une immersion plus totale et, surtout, conduit à mieux situer les événements.

Finement écrit et réalisé, Mishima, ma mort est un chef-d’œuvre est un biopic de qualité cernant d’une manière remarquable l’homme et toutes les ambiguïtés générées par son génie.

Moyenne des chroniqueurs
7.0