Bruno Brazil (Les nouvelles aventures de) 1. Black program

S ept mois ont passé depuis leur terrible mission malgache, les survivants du Commando Caïman tentent tant bien que mal d’oublier et de mener une vie normale. Bruno Brazil et Gaucho Morales sont de retour sur le terrain, même si le cœur n’y est pas. Clouée sur une chaise roulante, Whip Rafale a été recasée dans un bureau à une position administrative rébarbative. Quand à Nomade, il a disparu des radars, même si la rumeur dit qu’il filerait un mauvais coton dans sa Nouvelle-Zélande natale. Bref, ce n’est pas brillant. L’exécution sommaire, mais très professionnelle, de Madison Ottoman vient changer la situation. Pour le Colonel L, c’est la preuve que quelque chose de dangereux est en train de se mettre en marche. Afin d’en savoir plus, il parvient à convaincre Brazil de monter une équipe spéciale pour mener une enquête.

Plus de quarante ans après, Bruno Brazil reprend du service ! Fans de la première heure, Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Aymond proposent une suite/reboot aux aventures du héros créé au sein du Journal de Tintin, en 1969, par Michel Greg et William Vance. De Blake & Mortimer à Bob Morane ou Ric Hochet, cette énième renaissance d’un titre de l’âge d’or arrive sur les étals en espérant titiller la curiosité ou la fibre nostalgique des lecteurs du XXIe siècle. Pourquoi pas finalement ? James Bond continue bien à boire des Martini Dry et Ethan Hunt à porter des masques de carnaval toujours plus élaborés.

Le scénario de Black Program s’insère dans la continuité directe du mythique Quitte ou double pour Alak 6. L’idée est ingénieuse et risquée. En effet, en agissant ainsi, Bollée évite de devoir réécrire complètement la mythologie de la série et plonge directement dans le vif du sujet. L’atmosphère est lourde et les protagonistes en deuil sont fatigués. Brazil consulte un psychiatre, Whip a des pensées suicidaires, Nomade part en torche à l’autre bout de la planète et Gaucho… euh, il reste fidèle à sa légende. Percutant et osant montrer d’une manière réaliste le côté sombre de l’héroïsme, l’entame de l’album s’avère percutante. Par contre, dès que la nouvelle intrigue se déploie, le résultat souffre immédiatement du même mal que d’autres reprises du même type : l’absence de connexion entre réalité vécue et fiction. En effet, les années soixante-dix et les peurs engendrées par la Guerre froide résonnent difficilement avec les cyber-menaces et autre conflits asymétriques d’aujourd’hui. Il reste un thriller prenant et très bien écrit, mais manquant dramatiquement de ressenti, tant l’identification ou l’empathie peinent à s’établir avec les acteurs et les événements.

D’un classicisme absolu passablement éloigné de la flamboyance et de l’inventivité de William Vance, le trait de Philippe Aymond se montre solide et parfaitement en place. Les amateurs de belles compositions et de découpage léché seront certainement séduits par cette approche graphique posée et méticuleuse. La mise en scène tendue aux cadrages serrés apportent beaucoup de dynamisme à des planches parfois un peu noyées par les phylactères. Autre point fort, les couleurs très précises, quoiqu’un peu trop « propres » par moments, de Didier Ray s’intègrent totalement à l’ambiance carrée de la narration.

Respect du canon en place ? Changement drastique de direction ? Faire revivre des personnages et, surtout, un ton général, n’est pas tâche aisée. Sans trop encore avoir choisi son camp, Les Nouvelles Aventures de Bruno Brazil préfère louvoyer entre ces deux approches, avec une certaine réussite.

Moyenne des chroniqueurs
6.5