Mécanique céleste 1. Mécanique céleste

A u ban d'une pseudo société dans un monde embourbé dans son apocalypse, Aster ne peut compter que sur son camarade Wallis, aussi transi d'affection qu'ignoré de tous. Alors que leur clan se retrouve sous la menace d'une terrifiante puissance et que les démons du passé resurgissent, la sauvageonne va se révéler, déjouer les garde-fous d'une société féodale corrompue, allumant la première mèche d'un mouvement de liberté.

Sur les bases d'un récit de type "David contre Goliath", Merwan offre une aventure fort classique, remplie de figures imposées, plaisante, à défaut d'être percutante. Dès les premières pages, le fait que l'auteur est avant tout un graphiste saute aux yeux, et la promesse d'avoir droit à une sorte de portfolio de l'étendue de son talent est probable. Dans un style globaliste, évoquant autant l'école européenne qu'Otomo, voire même Frank Miller, il brille dans ses points forts, l'origine même de ses éventuelles faiblesses : les couleurs sont absolument magnifiques, aériennes, proposant une palette vraiment personnelle, sans oublier d'être efficaces. Sans tomber dans le dessin aquarellé, il réussit à conserver ces qualités de transparence qui font la spécificité de la discipline. Et là surgissent quelques problèmes dès lors qu'il prend la plume pour asseoir les contours, procédé dont il aurait peut-être pu se passer. Quand il s'agit de tracer de fines lignes, le procédé reste discret et efficace, mais dès que le pinceau est saisi pour plaquer des noirs plus conséquents, la subtilité y perd, la contradiction des techniques se faisant presque criante.

Passé ces considérations stylistiques, force est de reconnaître que l'ambition du projet est essentiellement narrative : dans une forme de décompression absolue, place à de longues séquences d'action chorégraphiées à l'extrême, quasi cinématographiques, certainement iconiques, mais paradoxalement peu dynamiques, car tout paraît en suspension, figé. L'ensemble reste impressionnant - la montée en puissance sur une partie de balle aux prisonniers post-apo en trois actes est assez jouissive - , tout en révélant les limites d'un auteur qui, certes ambitieux, fait encore montre d'une belle marge de progression pour la suite.

Parfois, l'impression est ressentie de lire la bible de production d'un projet d'animation, sympathique, bien que sans réelles surprises, proposant un discours très conventionnel sur les dérives de l'autorité, de l'échelle familiale à celle de l'État. Sans compter des dialogues qui restent assez basiques, voire désuets ("nigaude" ?!). De plus, quelle est la véritable traduction d'un contexte "Fontainebleau, 2068" (100 ans après Mai 68 ?) ? Seules quelques pages du début l'évoquent. Rapidement, l'action pourrait aussi bien se dérouler au Japon qu'en Russie, cette donnée ne s'incarnant pas réellement dans le récit.

Heureusement, alors que l'entreprise se suit sans déplaisir, mais sans passion, le lecteur se retrouve véritablement pris par les enjeux dans la seconde manche du jeu qui articule l'aventure, un souffle épique enflammant soudainement une histoire jusque là ronronnante. Entre action sur-découpée et blagues vaguement drôles, une réelle émotion s'installe, celle de la ferveur pour l'underdog, une des grandes réussites d'un album jeunesse qui se pose plus en promesse d'avenir qu'en œuvre de la maturité, et c'est déjà pas mal !