Quand je serai mort

L éon « Obman » Obmanchik sort de prison, quinze ans pour meurtre moins cinq de bonne conduite, ça fait le compte. Anita, une travailleuse sociale qui l’a connu durant son incarcération, l’attend devant le pénitencier. Elle avait sympathisé avec ce taiseux et désire lui donner un coup de main. Par contre, derrière son allure taciturne, l'homme a un plan. Il veut retrouver son fils et Suzie, celle qui l’avait mis dans le pétrin. Curieuse, Anita s’entête et commence aussi à mener sa propre enquête. Qu’est-ce qu'il s’est donc passé il y a dix ans pour que Carl Boucher finisse égorgé sur le zinc de son établissement ?

Plus drame social que polar per se, Quand je serai mort est un récit dur mettant en scène quelques paumés dans un Québec façon Simenon, un soir de grisaille. Vengeance, remords, regrets et culpabilité, Laurent Chabin passe aux rayons X des pauvres ères dépassés par leurs propres agissements. Le cliché qu’il en retire est implacable et glaçant. Face à la mesquinerie, l’égoïsme et la méchanceté pure et simple, la bonté et la moindre faiblesse n’ont aucune chance. Obman est tombé dans le panneau et, même avec toute son énergie, Anita ne peut que tenter de recoller les morceaux. Si les prémisses de l’histoire s’avèrent clairement établies, leurs développements pêchent légèrement. Les personnages sont ce qu’ils sont et leurs actions uniquement dictées par leur nature. Écrasés et sans portes de sortie, ils se limitent à subir les évènements ; difficile, dans ces conditions, de provoquer beaucoup d’empathie. Venant du monde littéraire, Chabin peine également à entrer dans la mécanique spécifique de la bande dessinée. Résultat, le rythme est parfois haché et certaines transitions mal amenées (les retours en arrière, particulièrement) se font remarquer.

Vétéran de la scène BD québécoise, Réal Godbout (Michel Risque, Red Ketchup) fait ce qu’il peut pour animer cette distribution de perdants. Son style néo-ligne claire, associé à un découpage classique, se montre solide et très efficace. Il offre surtout un superbe portrait de Montréal comblant ainsi le manque de mise en contexte du scénario. En effet, bien trop peu utilisée au sein de la narration, la ville est la grande oubliée de l’album. Heureusement, le dessinateur arrive à la remettre à sa place avec une minutie et un talent de tous les instants.

L'intrigue grave, un peu trop monolithique, compensée en partie par une réalisation graphique inspirée fait de Quand je serai mort une lecture poignante et sans concession.

Moyenne des chroniqueurs
6.0