Le château des Animaux 1. Miss Bengalore

Q uand le chat n'est pas là, les souris dansent. Les hommes ont quitté les lieux, ce château jadis remisé en ferme. Depuis ce temps-là, les bêtes ont adopté leur place, leurs règles, leurs lois et… leurs travers. C'est ainsi qu'en ce triste jour, AdélaÏde va être punie de mort par la vindicte du président Sylvio. Accusée d'avoir soustrait au bien commun - qui vole un œuf… - , la poule va être déchiquetée par les mâchoires d'une meute de bourreaux sans pitié. Miss B. assiste à ce massacre, résignée depuis la mort de son mari à subir le joug de cette prétendue République qui ressemble davantage à une dictature. Bientôt, la foule gronde et se révolte ouvertement : griffes contre canines, becs contre babines. Mais il faudra plus qu'une vague pour renverser l'indétrônable, pourtant, la houle a commencé son travail de sape.

Faisant ouvertement référence à l'une des œuvres majeures de Georges Orwell, Xavier Dorison (Long John Silver, Les sentinelles, Aristophania) propose sa propre fable animalière dans ce Château des animaux. Avec une parution parallèle sous forme de gazettes, ce tome 1 pose de solides jalons pour ce microcosme qui se veut l'expression d’événements ayant régulièrement marqués l'Histoire de l'humanité sous la forme de l'oppression du plus faible par le plus fort. Si le fil conducteur reste classique en utilisant l'opposition des grandes valeurs universelles aux plus vils sentiments, le traitement des personnages, associé au rythme bien orchestré et une petite dose de mystère (l'espèce humaine joue tout de même un certain rôle), font que cette histoire tient en haleine de bout en bout. La délicate et courageuse Miss Bengalore, le taureau tyran, ainsi que les différentes créatures qui les entourent, émeuvent ou révoltent, chaque membre du bestiaire possédant une belle caractérisation et une réelle épaisseur. Le scénariste ne cherche pas à adoucir son propos, il n'hésite pas à exposer la violence de manière crue quand cela se révèle nécessaire. Quelques notes d'humour et de légèreté parsèment le récit, allégeant la lourdeur du sujet, sans toutefois l'édulcorer ; c'est là une preuve supplémentaire de la qualité du scénario.

Il faut avouer que pour sa première bande dessinée, Félix Delep force l'admiration. Un sans-faute pour ce jeune dessinateur avec ses illustrations de toute beauté : un bestiaire caricatural expressif et dynamique s'anime dans un découpage travaillé et une mise en scène étudiée avec sérieux. Ça sent presque le musc par ici. Deux coloristes créent les ambiances, avec des tons naturels et doux qui provoquent une immersion totale.

«Rendre visible l'injustice, faire cesser la peur», cette exhortation du petit peuple suffira t-elle à renverser le matador ? Ce duo d'auteurs talentueux attaque cette rentrée de manière très efficace. Série prévue en quatre épisodes.