Louisiana 1. La Couleur du Sang

« Me marier ? Jamais de la vie, les hommes sont si… brutaux et rustres ! »
Une vieille dame raconte à ses enfants l’histoire de sa famille. Son récit commence au tout début du XIXe siècle. À cette époque, trois catégories de citoyens cohabitent dans les exploitations agricoles louisianaises : au sommet de la pyramide se trouvent les hommes, suivent leurs épouses et leurs filles, puis, tout en bas, les esclaves. Le rôle du Noir demeure assez simple : il doit travailler fort et, s’il est de sexe féminin, écarter les cuisses quand le maître a une petite fringale. Les conjointes des planteurs répondent pour leur part aux attentes en se montrant jolies et obéissantes. À la plantation des Maubusson, les femmes font néanmoins preuve de solidarité, peu importe la teinte de leur peau.

Le scénario de Léa Chrétien entremêle le combat féministe et celui des gens de couleur, auxquels elle ajoute un soupçon de fantastique avec l’intervention d'une sorcière vaudou. Bien que le sujet ne soit pas dénué d’intérêt, l’intention embête. Le mâle blanc incarne le Mal : il exploite, il domine, il s’enivre et il viole. La femme apparaît quant à elle juste et bonne et si elle a recours à la violence, c’est parce l’ennemi, à savoir le patriarche, l’a mérité. Cette vision binaire finit par agacer. Le lecteur aurait apprécié des héros plus étoffés, ambivalents et multidimensionnels. Le titre se révèle d’ailleurs trompeur. Il laisse entendre qu'il sera question d’une société dans son ensemble alors que le propos dépeint les mœurs d'un seul clan.

Le dessin réaliste de Gontran Toussaint traduit bien ces tristes réalités. Sa reconstitution du pays de Thomas Jefferson convainc et les décors de la Nouvelle-Orléans sont réussis. L’artiste semble aimer dessiner les personnages féminins ; Joséphine, la protagoniste, et sa mère, Laurette, sont cependant parfois difficiles à différencier. Une mention spéciale pour la scène de vengeance en fin d'album où bourreau et justicière s'affrontent sur une planche construite comme un damier où alternent les cases bleues et ocres, à laquelle répond immédiatement une page présentant une empilade de sept bandes étroites reprenant les mêmes coloris.

L’esclavage et la ségrégation sont des thèmes abondamment abordés, par le neuvième Art en particulier. Le bédéphile pense spontanément aux Passagers du vent, à Atar Gull et à Cinq branches de coton noir. La démarche des auteurs de Louisiana se distingue dans la mesure où le tandem fait le procès du racisme, mais également, et peut-être surtout, celui de la misogynie.

Moyenne des chroniqueurs
6.0