Le rapport W Le Rapport W

A utomne 1940, un groupe d’hommes dans un wagon de train. Destination Auschwitz. Parmi eux, Tomasz Serafinski, alias Witold Pilecki, un capitaine de cavalerie membre de l’armée secrète polonaise. Son objectif : recruter des détenus afin de créer un réseau de résistants. Dans un monde où chacun tente de sauver sa peau, la tâche s’avère délicate. Il travaille lentement et prudemment à constituer son organisation. Parallèlement, avec l’aide de complices, il communique à ses supérieurs des rapports sur les atrocités observées, mais c’est en vain qu’il attend l’ordre du soulèvement. Le récit se révèle finalement celui du quotidien, souvent banal, de la vie dans le camp, ponctué de moments où le genre humain expose son côté le plus sombre.

Gaétan Nocq s’est abondamment documenté pour écrire ce scénario inspiré d’une histoire vraie, notamment en validant ses informations auprès de l’historienne Isabelle Davion. Le ton demeure objectif, les descriptions quasiment cliniques, sans pour cela se montrer froides. Dans cet univers trouble, les prisonniers sont parfois des crapules prêtes à vendre leur voisin de dortoir dans l’espoir d’obtenir des privilèges alors que des kapos se compromettent pour soutenir les bagnards. Et que dire des alliés qui n’interviennent pas, alors que le protagoniste encourt tous les risques pour les informer de ce qui se passe derrière les barbelés ? Le livre est copieux et l’auteur s’accorde le luxe de décrire l’esprit des lieux à l’aide de séquences fréquemment longues. Paradoxalement, le passage du temps se ressent difficilement. Le lecteur a l’impression que l’espion vient tout juste d’arriver alors que le recrutement des insurgés est déjà avancé. Du reste, il a du mal à concevoir que l’aventure s’étend sur près de trois années.

La nuance du propos se traduit également dans le choix des teintes. L’artiste a en effet pris le parti de représenter l’horreur en bleu et rose pastel ; certaines cases évoquent même l’art de Claude Monet. Le traitement graphique est tout en retenue, les visages, représentés avec sobriété, affichent peu d’émotions ; les actes de violence sont pour leur part pudiquement figurés par des gros plans presque abstraits ou encore dépeints de loin. La technique déployée par l’illustrateur est très intéressante, un mélange d’acrylique et de crayon de couleur qui donne un résultat particulier rappelant par moments le travail de Jean-Claude Götting.

Enfin, les éditions Daniel Maghen font bien les choses en complétant l’ouvrage d’un imposant dossier sur le Rapport Pilecki.

Une belle réussite, un album cohérent où le sujet, le texte, le dessin et les couleurs convergent habilement.

Moyenne des chroniqueurs
8.0