Haïkus de Sibérie

L e matin du 14 juin 1941, dans un village de Lituanie, la vie d’Algis et de son entourage bascule. Des soldats russes les traînent hors de leurs maisons et les conduisent à la gare où un train les attend. Sa destination ? La Sibérie. Un long périple débute pour le groupe dont le calvaire est bientôt fait de peur, de faim, d’incertitude, d’arrachement, de séparation, de vexations. Pourtant, dans cet enfer où le froid s’insinue toujours plus, l’espoir luit faiblement. Pour le garçon, il prend la forme du fantôme de son jars domestique, de la chorale montée par Violeta, son institutrice, des poèmes nippons récités par l’excentrique tante Pétronelle, des tricots de sa sœur Dalia ou du bruit assourdi des tambours des prisonniers japonais d’à côté.

Reposant sur le témoignage et les souvenirs du père de Jurga Vilé, la scénariste, Haïkus de Sibérie participe au devoir de mémoire et à sa transmission, en relatant un épisode largement méconnu de la Seconde Guerre mondiale : la déportation de milliers de Lituaniens aux confins de l’Union soviétique.

Si le sujet éveille l’intérêt du lecteur curieux de découvrir ce pan d’Histoire passé sous silence dans nos manuels d’Europe occidentale, la couverture accroche également le regard. Sur un paysage de baraquement en bois aux couleurs ternes, deux délicates grues blanches – des origamis – se détachent, d’autant plus visibles qu’un couple d’enfants blonds les contemple avec une expression incertaine. Cette touche lumineuse et presque incongrue flottant dans le ciel gris et pluvieux est en fait à l’image de ce que raconte ce roman graphique : l’exil et la survie dans un environnement hostile et sous les coups de matons prompts à frapper, mais où, en dépit de tout, certains éléments, quasiment anodins, viennent apporter réconfort et espoir – même ténus. Ainsi, tout en formant une boucle, le récit présente les différents protagonistes, chacun prenant sa place au gré des réminiscences, tandis que le train s’élance et que les paysages défilent, puis que la vie dans le camp sibérien commence à prendre forme. La dimension tragique est palpable et montrée sans fioriture, cependant le ton possède une certaine nuance distancée – due au recours d’Algis à son imaginaire - qui la désamorce sans jamais l’étouffer.

Le graphisme de l’album se révèle lui aussi singulier. En effet, Lina Itagaki a choisi de mélanger pages narratives à la manière d'un journal intime en les agrémentant çà et là de petites illustrations, et planches de bande dessinées plus classiques en quatre à six cases, sans oublier quelques tableaux en pleine page et même des lettres. La dynamique du récit s’en trouve renforcée et fluidifiée, et cela confrère un caractère très concret et d'une grande proximité au propos. Le trait semi-réaliste de la dessinatrice accentue volontiers les particularités physiques, tout en étant aussi bien expressif. Quant à la colorisation, sa dominante grise et hivernale est ponctuée çà et là d’un rouge sanglant ou, plus joliment, par les touches éclatantes des chevelures blondes ou rousses de certains protagonistes et par le magnifique kimono de la tante Pétronelle.

D’une lecture plaisante malgré un thème difficile, Haïkus de Sibérie est un ouvrage touchant et dépaysant. À découvrir.

Exil, froid, peur, mort
Au fil des pages, suspension
Explose l’émotion

Moyenne des chroniqueurs
7.0