Algérie une guerre française 1. Derniers beaux jours

L a vie semble s’écouler avec harmonie et sérénité dans l’Algérie de l’après-guerre. À Fort-de-l’eau, Charles Villars a recueilli le jeune Paul, qui a perdu sa mère lors de leur fuite de la France occupée. Il partage son quotidien avec André, son cousin, et ses copains d’école, Loulou et Mo. Entre le football, les bains de mer et les premiers émois de la puberté, les amis investissent avec allégresse cette société contrastée. Les soucis de l’existence consistent à pouvoir approcher Fiona, la fille de l’instituteur ; leur réconfort, déguster les galettes de semoule chez les ouvriers de la ferme de l’oncle Charles.

Mais, çà et là, le vernis craque. Les travailleurs autochtones seraient moins bien payés que leurs homologues français. Des manifestants réclament la libération de Messali Hadj, fondateur et leader du Parti du Peuple Algérien. Les positions de De Gaulle divisent. Les terres ne sont pas réparties équitablement, l’accès à l’école n’est pas le même pour tous, les musulmans n’ont pas le droit de voter. Protestations, mobilisations et provocations entraîneront le massacre de Sétif. Le sang est répandu et va s’immiscer sournoisement au sein du groupe d’amis.

Philippe Richelle (Amours fragiles, Les Coulisses du pouvoir) s’attaque à un pan vaste et douloureux de l’histoire de la France contemporaine, à ce que les autorités de l’époque appelaient pudiquement Événements et qu’il convient de nommer désormais Guerre. Témoignages et documents se multiplient, après quelques décennies de gêne et d’autocensure, la fiction s’empare doucement de ce contexte. Il manquait une fresque ambitieuse portée par le neuvième art. Telle est l’objectif d’Algérie, une guerre française, prévue en cinq tomes.

L’approche se veut globale et pédagogique, en remontant aux années quarante, à l’implication des régiments algériens dans le second conflit mondial, et en tissant un continuum subtil dans la montée des tensions, de l’oppression et de la violence. En reconstituant un environnement colonialiste sans clichés ni traits grossiers, l’auteur peint l’évidence d’inégalités secrètes évoluant en élections truquées et de complicités éparses en manipulation à grande échelle d’une population.

Le dessin d’Alfio Buscaglia, artiste piémontais (100 âmes, Les Mystères de la quatrième République), est baigné de soleil. Simple – peut-être trop –, il soutient la narration sans la parasiter, pose des ambiances chaleureuses et accompagne discrètement la richesse des dialogues.

L’intelligence de l’écriture consiste ici à adopter le point de vue de quidams, dont les modestes conditions vont être impactées par des faits lointains. Ainsi s’imposent l’absurdité du crescendo belliqueux, l’écrasement des perspectives qui se brisent au fond d’impasses et le tragique des obstinations. Une belle série vient de naître.

Moyenne des chroniqueurs
7.0