Amour minuscule

D ’origine italo-argentine, Iris vient de prendre possession de la demeure ancestrale, à Verezzi, avec son compagnon Ismaïl. Tout leur sourit. Elle, illustratrice, travaille à son compte, lui enseignera bientôt la calligraphie et les beaux-arts à l’université. Cependant, il doit d’abord retourner à Damas régler quelques affaires avant de s’installer définitivement dans la péninsule. Seulement, en Syrie, la guerre est déjà toute proche et le jeune homme en fait rapidement les frais. Alors qu’il s’engage sur la route semée d’embûches des migrants, sa dulcinée apprend qu’elle est enceinte. Inquiète pour l’absent, elle puise son réconfort auprès de ses proches et dans les lignes qu’elle écrit à l’être qui grandit en son sein.

Raconter à la fois l’amour, ses fruits, la famille, la transmission générationnelle, les migrations (é- ou immigration), l’amitié, la vocation, l’entraide en un seul album, le défi est de taille. Teresa Radice et Stefano Turconi (Le port des marins perdus, Orlando) le relèvent avec chaleur et talent dans une bande dessinée riche et dense. Le format d’Amour minuscule – quelques trois cents pages dessinées ou écrites – pourrait effrayer ou les thématiques abordées laisser craindre, sur la longueur, une descente dans le pathos. Il n’en est rien.

Finement ciselée, l’histoire s’étale et prend son essor, d’abord lentement et en surface, pour progressivement s’étoffer, se développer, parvenir au cœur des choses et des personnes. Elle se déploie au fil des lunes (les chapitres) et de la gestation qui en forment le cadre. La grossesse d’Iris se trouve ainsi vécue au plus près et au plus intime. Cet aspect est encore renforcé par les lettres adressées à l’enfant à naître, auxquelles viennent ensuite faire écho les pensées du père durant son long calvaire pour rallier sa nouvelle patrie. Évidemment, ce choix rend la narration verbeuse, mais le verbe, ici, prend tout son sens et confère un surcroît d’humanité et d’authenticité au propos.

Le récit doit beaucoup également à ses protagonistes, touchants, attachants, vrais, amusants même par moments. Si Ismaël et sa compagne sont au centre de l’intrigue puisque le lecteur suit à la fois leur vécu au présent et leur rencontre quelques années auparavant, les autres acteurs font également mouche. À leur histoire répond celle de Maïté, la mère d’Iris, dont l’amitié fidèle avec Tiz se réverbère dans celle de sa fille avec Ale. De même, le déracinement de son gendre rappelle le sien dans les années soixante-dix (d'Argentine vers l'Italie) et celui de sa génitrice (de Gênes vers l'Amérique du Sud). Enfin, l’approche de la question des migrants, de la guerre en Syrie et des déchirures que cela implique se révèle aussi directe que pleine d’humanité. Il suffit aux auteurs de quelques situations pour offrir un aperçu vif et poignant. Au regard de cette richesse, les quelques facilités qui pourraient être reprochées sont vite oubliées.

Le crayon et les couleurs de Stefano Turconi viennent habiller et donner corps au scénario imaginé par Teresa Radice. Son graphisme expressif réussit à rendre palpable les émotions des personnages, à créer des ambiances justes et fortes, tout en offrant de très beaux paysages. Il parvient également à rendre visuellement les déplacements entre les époques que ce soit par une colorisation différente ou un recours à un trait plus hachuré. Il n’hésite pas non plus à s’affranchir des phylactères ou à passer d’un découpage en cases à des bandes pour mieux transmettre le message véhiculé.

Porté par et porteur d'espoir, Amour minuscule est un album-fleuve qui s'avère d'une grande profondeur et d'un humanisme indéniable. Un joyau à savourer en prenant son temps pour en extraire toute la saveur.

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Moyenne des chroniqueurs
8.0