Jeremiah 36. Et puis merde

U n incendie a ravagé le logis dans lequel Jérémiah et Kurdy étaient censés dormir. Leurs motos ont brûlé ; ils doivent poursuivre leur chemin à pied. Un des membres de la milice locale venue constater le sinistre croit reconnaître dans Kurdy l’assassin d’une femme. Ce crime aurait été commis dix ans plus tôt, pour une sombre histoire de magot généreux. Nos deux compères ne demandent pas leur reste et s’esquivent discrètement. Mais la convoitise est tenace et peut faire surgir instantanément la violence. Une tentative de meurtre et une escapade montagneuse plus tard, ils se retrouvent dans une propriété privée plutôt déconcertante et inquiétante.

Hermann signe le trente-sixième volume d’une de ses séries phares (avec Comanche et Bernard Prince), sa série, celle qu’il contrôle totalement (écriture et dessin) et qui n’a d’autre limite que son imagination. L’épisode respecte les codes mis en place dès le premier volume, La Nuit des rapaces, paru en 1979 : une Amérique post apocalyptique qui tente vainement de se reconstruire, caractérisée par l’absence de droit, la difficulté de survivre, l’égoïsme érigé en valeur et la brutalité comme lien social. C’est un territoire redevenu sauvage, rendu à son état primitif de terres à conquérir, d’un Far-West promettant la fortune ou la mort.

Dans cette intrigue, au titre plutôt audacieux, le lecteur fidèle retrouvera les disputes récurrentes des deux protagonistes, le double thème de la détention et de l’évasion, celui de la folie des hommes, de la trahison, le tout nimbé de la misanthropie assumée de l’artiste. Comme dans les épisodes précédents, se posent les questions de l’homme sans guide (politique ou spirituel), sans déontologie autre que la loi du plus fort, de la condition de l’humanité qui se débat dans des contrées hostiles et au sein de laquelle les rencontres entre les individus sont davantage belliqueuses qu’amicales.

Au-delà de dialogues ciselés et souvent comiques, le dessin du maître n’a pas son pareil pour poser, en une case, une atmosphère oppressante qui ne laisse rien augurer de bon des événements à venir. La nature est rocailleuse (Hermann met ici en scène une tornade de cailloux ravageant tout sur son passage), les perspectives sont désertiques à l’infini ou bloquées par des parois rocheuses. L’architecture de la mystérieuse villa insérée, qui fait corps avec la montagne, reprend les textures minérales, les courbes et les points de fuite qui emplissaient les récits de science-fiction des années 60 et 70, pouvant exprimer aussi bien l’onirisme que la vacuité. Par ailleurs, Hermann est toujours le portraitiste des sales tronches, disant d’un coup de crayon la méchanceté, la fausseté et le vice.

Derrière ce titre qui n’est pas forcément des plus adroits, par-delà la couverture qui ne vante pas les qualités de l’illustrateur, se trouve un récit qui, s’il n’innove en rien, prolonge avec adresse et à-propos une série qui compte parmi les plus profondes de la bande dessinée franco-belge.

Moyenne des chroniqueurs
7.0