RIP 1. Derrick - Je ne survivrai pas…

D ans la brigade, ils sont six. Parmi eux, il y a Derrick, un aimable alcoolique rendu aigri et usé par un job particulièrement pénible et qui consiste à débarrasser les intérieurs des personnes décédées dans l'indifférence générale. Parce qu'ils n'ont pas de descendance et avant l'intervention des pompes funèbres, leurs biens sont saisis afin d'être mis en vente aux enchères. Et tout ceci pour quoi ? Pour gagner seulement trois francs six sous. Alors, la tentation est grande quand se présente l'occasion de voler une très belle bague sur un corps en état de décomposition. Une aubaine pour mettre du beurre dans ses épinards !

« Je bosse dans la mort. Mais pas dans les plus belles morts. » Derrick

RIP, abréviation latine qu'il faut traduire par « Repose en paix », invite à pénétrer dans un univers tout à fait singulier, extrêmement fouillé et noir à souhait. Gaêt's (Un léger bruit dans le moteur, Mourir sur Seine) a bichonné son scénario pendant près de cinq années pour pouvoir le servir aux petits oignons. Son concept, à la fois original et infaillible, sécrète pour celui ou celle qui s'y engouffre, l'équivalent d'une farouche dépendance. La narration débute avec le personnage central s'adressant directement au lecteur pour, dans un premier temps, décrire son cadre de vie, puis pour présenter les lascars qui évoluent à ses côtés. Ensuite, le récit prend un virage considérable pour laisser place à une intrigue dont les engrenages sont imparables, aspirant nombre de protagonistes dans une inévitable dégringolade aux accents de descente aux enfers. Car non content de peindre son héros comme un mélancolique psychiquement atteint de troubles émotionnels et affectifs, l'auteur, en père fouettard, le soumet à une nouvelle épreuve, celle de la tentation. Si la trame sort tout droit de l'imagination de l'auteur, en revanche, pour avoir été rapporté à ses oreilles, le métier particulièrement glauque de ces pauvres bougres est semble-t-il, ailleurs, bien réel. Malgré une fin qui lui est propre, l'ouvrage ouvre et laisse de nombreuses interrogations en suspens. Les autres personnages auront l'occasion d'y répondre dans les cinq volumes suivants que compte cette série.

La grande force de Julien Monier (Gant blanc, La Faucheuse des moissons) est de réussir, par le biais d'un trait semi-réaliste et caricatural, à dégager le nec plus ultra de ses planches sans pour autant effrayer ou choquer. Et pourtant, le talentueux dessinateur avait convenu de mettre le paquet et de n'épargner personne : cadavres en putréfaction, odeurs pestilentielles, gueules de loustics marquées par un quotidien fait de scènes sordides, couleurs froides sur des décors et ambiances répugnantes, il y avait largement matière à rebuter. Que nenni ! Grâce à un cadrage millimétré et un découpage habile, son public est ainsi placé dans les meilleures conditions qui soient pour entrer sereinement dans cet album et en apprécier chaque case à sa juste valeur. Une véritable prouesse artistique pour un régal visuel.

Parce que son dessin est d'une rare intensité et qu'il est posé sur un scénario ingénieux et fascinant, «Je ne survivrai pas à la mort» est un premier volet qui prend aux "tRIPes" et qui tutoie la perfection.

Moyenne des chroniqueurs
7.6