Fréhel

M arguerite n’a pas de parents pour s’occuper d’elle ; papa en mer, maman prostituée, heureusement qu’il y a mamie pour en prendre soin. Puis sa mère la récupère… et la néglige, jusqu’à ce qu’elle comprenne que la fillette peut rapporter quelques sous en chantant et en faisant la manche. Et Fréhel, car c’est d’elle dont il s’agit, a une sacrée voix. Devenue femme, elle multiplie les amants, les beuveries et les lignes de cocaïne, mais son talent convainc et sa carrière va bon train. D’abord dans les cafés, puis aux Folies bergère, au Bataclan et au Casino de Montmartre.

Le scénario de Johann G. Louis se montre de facture plutôt classique. La biographie débute par l’enfance de la saltimbanque, en 1891, et se poursuit jusqu’à son décès, alors qu’elle a 60 ans. L’auteur insiste particulièrement sur les débuts de la marginale et s’arrête un peu après ses premiers succès. Juste avant la Première Guerre, la chanteuse s’éclipse en Roumanie et ne reviendra qu’après une dizaine d’années. Certains la croyaient morte. Chose certaine, sa gloire appartient au passé, son parcours se révèle alors moins intéressant et le scénariste choisit de peu s’attarder sur la période du déclin, sinon en ponctuant le récit de ses courtes apparitions, vieillissante, racontant sa vie à qui veut bien l’écouter (notamment à un chat). Le travail de recherche est réalisé avec beaucoup de rigueur, comme en témoignent les sources bibliographiques et filmographiques présentées en fin d’album.

Le dessin constitue pour sa part une exceptionnelle réussite. L’encrage est très léger, nerveux, pratiquement brouillon, mais généralement chargé de détails, qu'il s'agisse des rues de Paris, d'un bistrot, d'un taudis ou d'une riche demeure. Les illustrations sont magnifiquement rehaussées d’aquarelle et c’est probablement la plus belle qualité de ce projet. Les couleurs, toutes en nuances, constituent un réel atout. Elles accentuent les atmosphères, dramatisent les scènes de nuit et créent d’agréables effets d’ombre. La construction est également originale. Certes, les planches sont presque toujours formées de trois bandes de deux cases, mais ces dernières n’ont jamais de cadre et leur contour est aléatoire. Ils englobent parfois les phylactères, parfois pas, comme si l’artiste avait refusé de faire cette concession aux bulles, comme s’il désavouait leur prétention de s’interposer dans ses images.

Un roman graphique de près de 300 pages, à lire doucement pour le savourer pleinement.

Moyenne des chroniqueurs
8.0