Prendre refuge

B erlin aujourd’hui, Bâmiyân hier, quand deux âmes se rencontrent et se trouvent sous les étoiles, les réactions sont les mêmes. Des trajectoires se croisent et veulent y croire, mais il est parfois difficile de faire fi de son passé. De toute façon, personne n’a le choix, il faut continuer sa route. Ainsi tourne la roue des choses depuis la nuit des temps.

Des conteurs unis par l’amour des horizons lointains, la beauté des images et des mots s’associent ; le dépaysement est garanti. Zeina Abirached (Le piano oriental) met en scène un récit de Mathias Énard (prix Goncourt 2015 pour Boussole) dans Prendre Refuge. À quatre-vingts ans de distance, des couples se forment, l’un vers Kaboul alors que l’Europe et le Monde sont sur le point de s’enflammer, l’autre dans la capitale allemande au moment où la Syrie se désintègre. Canevas tout simple fait de bluettes assez convenues ? Non ! C’est toute l’histoire des Hommes dont il est question. Des héros de l’Antiquité aux réfugiés du XXIe siècle, tous finissent par emprunter les pas de Siddhārtha Gautama au cours de leur quête.

Formidable album où tous les enjeux actuels s’affrontent et s’entrechoquent, Prendre refuge est l’exemple type de la bande dessinée totale. Paroles et illustrations se fondent pour former une narration immersive et unique. Les mises en abyme et les ellipses s’enchaînent dans une encre de charbon. Les références et les allusions s’enchâssent naturellement, alors que les sentiments et les regards se perdent face à leur réalité. Mêlant une économie de moyens volontaire et une science exquise du bruitage et du découpage, la dessinatrice entraîne l’œil du lecteur dans les tréfonds de ses personnages. L’immersion est absolue, attention de ne pas y sombrer !

Pour autant, l’ouvrage reste abordable et passionnant à parcourir. Le scénario recèle tant d’humanité et de tendresse qu’il est impossible de ne pas tomber sous le charme de ces individus qui tentent juste de vivre tout simplement, un peu comme nous finalement.

Minimalisme de haute intensité, psychologie de haut vol et introspection aux ressorts universels, Prendre Refuge ne peut pas laisser indifférent. À lire d’urgence.

Moyenne des chroniqueurs
8.3