La guerre des autres 1. La guerre des autres

J uin 1974, Beyrouth se révèle une oasis de douceur, du moins pour les Naggar, une famille d’Égyptiens. Ils boivent, vont à la plage et au cinéma, rigolent, batifolent, fument des pétards, écrivent un livre sur la beauté du Liban et réussissent même à se procurer L’écho des savanes. Après tout, ce n’est pas comme en Égypte ou en Palestine, là où les tensions politico-religieuses se montrent vives. Et pourtant. Mettez dans un minuscule pays des Sunnites, des Chiites, des Druzes, des Maronites, des Catholiques et des Arméniens, puis rajoutez des réfugiés palestiniens : vous avez un cocktail explosif.

Le récit, signé Bernard Boulad, raconte la fin d’une époque, voire celle d’une civilisation. Les indices sont tous là, mais les gens n’y croient pas… ou ne veulent pas y croire. Après tout, comme l’indique le titre, c’est la guerre des autres. La quasi-totalité des scènes les présentent heureux et insouciants. L’auteur glisse cependant des signes discordants : l’homosexualité est taboue, les voisins de dénoncent entre eux, chaque parti politique a sa milice, etc. Pour rendre compte de la complexité des événements, il a la chance de bénéficier de beaucoup d’espace ; en près de 200 pages, le lecteur s’imprègne de l’esprit du lieu, il palpe la banalité du quotidien et comprend l’humeur des personnages confortablement installés dans la Suisse de l’Orient. Cela dit, le bédéphile devine que le scénariste se sent à l’étroit lorsque des éléments de contexte sont livrés au travers des dialogues un peu lourds. Le dernier tiers de l’album est davantage brutal, comme l’est l'éveil des protagonistes.

Bien qu’il soit réalisé à quatre mains, par Gaël Henry et Paul Bona, le dessin demeure uniforme. Il faut dire que les artistes ont fait les choses avec méthode ; après s’être partagé les crayonnés, le premier a encré les planches et le second les a colorisées. Sur un trait sommaire sont posées des couleurs en aplat, notamment des noirs, lesquelles donnent beaucoup de relief aux illustrations. Ces dernières captent bien l’air du temps, tant celui d’une terrasse tranquille que celui d’un bus pris pour cible par des terroristes.

Une sympathique chronique familiale sur fond de conflit annoncé.

Moyenne des chroniqueurs
6.0