Moi, ce que j'aime, c'est les monstres 1. Livre premier

I l suffit parfois d’un rien pour qu’une vie bascule. Une anodine piqûre de moustique qui évolue en méningo-encéphalite et, au seuil de la quarantaine, vous voilà paralysée pour le restant de vos jours… Mais, une petite fille qui croit en des temps meilleurs peut vous insuffler l’envie de ne pas capituler. Alors, ce sont les séances de rééducation, le Chicago Art Institute, puis un crayon scotché à une main rétive qu’il faut dompter, mais qui à force d’efforts deviendra une virtuose. Emil Ferris est un monstre, un monstre de précision du trait et de profusion des sentiments, une auteure surgie de nulle part (enfin presque) et déjà portée aux firmaments par ses pairs.

Lire Moi, ce que j’aime, c’est les monstres ne doit rien au hasard et demande un minimum de disponibilité afin de se perdre dans ses quatre-cent-seize pages !

Karen Reyes se voit en loup-garou car elle sent bien qu’elle est différente. Karen est de Chicago, d’Uptown plus précisément et en 1968, ce n’est pas forcément le meilleur endroit pour grandir dans l’insouciance ! Karen sait toutefois s’en accommoder et se créer un monde parallèle pour lui permettre de supporter les travers du quotidien. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est son journal secret, là où le fil de son histoire intime s’inscrit au jour le jour, au gré des événements qui surviennent dans son quartier. Karen est une adolescente, mais Emil Ferris est une femme qui a ses combats ; elle profite ainsi de l’occasion pour en parler et faire de Karen son bras dessiné. Ainsi les sujets d’indignation se succèdent et s'entremêlent les uns aux autres avec comme dénominateur commun le droit aux minorités d’exister et pas seulement de subsister. Mais ce qui subjugue avant tout dans ce graphic novel, c’est le dessin… au stylo tout en traits et en fines hachures ! Tour à tour enfantine, naïve, réaliste ou surréaliste… Emil Ferris fait preuve d’une technicité incroyable et d’une culture artistique indéniable qui lui permettent d’explorer un registre graphique des plus surprenants où la minutie côtoie l’émotion.

Alliant une puissance visuelle rare à une qualité d’écriture qui ne peut être le fait d’un simple concours de circonstances, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres constitue une œuvre à part, hors-normes, à l’écart de ce qu’il est communément possible de lire en matière de BD. Les récompenses qui pleuvent sur Ferris, outre Atlantique, viennent corroborer cette appréciation. À l’évidence, Les éditions Monsieur Toussaint Louverture, dont le travail est à souligner ici, sont en passe de réussir un joli coup éditorial.

Véritable OLNI (objet littéraire non identifiable), Moi, ce que j’aime, c’est les monstres consacre peut-être trop rapidement (quoi qu’à cinquante-six ans cela soit très relatif) une auteure qui devra, dans les années à venir, pouvoir exister en dehors d’un tel chef-d’œuvre.

Moyenne des chroniqueurs
8.8