Avec Édouard Luntz

Édouard Luntz est décédé, dans l’indifférence, en 2009. Les choses s’annonçaient pourtant bien pour ce cinéaste doué qui a remporté quelques prix et dirigé Jeanne Moreau, Michel Bouquet et Madeleine Renaud. Mais après deux longs métrages et une dizaine de films courts, il est mis au ban du septième art. Le scénariste Julien Rey cherche à comprendre. La première étape est évidente : regarder les productions. Théoriquement, ce devrait être simple. Il fouine d’abord sur internet, puis poursuit son investigation dans les bibliothèques, les cinémathèques et les écoles de cinéma, avant de rencontrer les proches et la famille. Le constat se révèle cruel : il ne reste plus grand-chose de l’œuvre.

Ce roman graphique s’avère l’histoire de l’oubli. L’oubli parce que les technologies ont changé, l’oubli parce que l’argent et le producteur ont toujours le dernier mot, l’oubli parce que tout est trop bien classé, l’oubli parce que les bureaucrates se montrent inflexibles, l’oubli parce que les gens sont négligents, l’oubli parce que tout le monde s’en fiche. Et, aussi, parfois, l’oubli parce que ce n’est pas nécessairement très bon. La démarche journalistique se veut solide et la quête fascinante. Le lecteur suit l’auteur à travers les rues de Paris, Washington ou Rio de Janeiro. Il vit avec lui ses petits succès et ses déceptions et s’enthousiasme lorsqu’il trouve son Graal : Les cœurs verts, une comédie dramatique réalisée au milieu des années 1960.

Le dessin en noir et blanc de Nadar est de toute évidence réalisé dans l’urgence. Les personnages sont esquissés et les décors sommaires. Le traitement a quelque chose de cinématographique : les dialogues sont « filmés » en champ-contrechamp et les entrevues ponctuées de gros plans, d'abord pour briser la monotonie, mais également pour capter une émotion ou un détail, avant de revenir au cadrage initial. L’illustrateur laisse par ailleurs parler les images ; par exemple, plutôt que reproduire un extrait de ce qui est projeté à l’écran, il se concentre sur les réactions des spectateurs visionnant Le Grabuge, un drame tourné dans des conditions difficiles au Brésil. Du travail de l’artiste se dégage une forme de modestie ; le coup de crayon demeure simple, sans devenir simpliste, un peu comme s’il souhaitait offrir toute la place au propos.

Un bon travail journalistique pour sauver un homme et son œuvre de l'indifférence.

Moyenne des chroniqueurs
7.0