Théodore Poussin 13. Le dernier voyage de l'Amok

V oilà quelques mois que le capitaine Crabb a dérobé son île à Théodore Poussin. Il s’y terre avec une bande de malfrats ivres du matin jusqu’au soir pendant que plantations et bâtiments se dégradent. Mais le héros tient à ce petit bout de terre, quelque part au large de Singapour. Déterminé à le récupérer, il achète un navire, le rebaptise L’Amok (folie meurtrière), puis recrute une trentaine de marins, tous plus louches les uns que les autres. Avec un tel équipage, il est difficile de savoir qui sera loyal, qui trahira à la première occasion et qui se révélera à la solde de l’ennemi.

Le scénario de ce treizième épisode s’avère somme toute minimaliste. L’action prend beaucoup de temps à se mettre en place et lorsqu’elle accélère, il ne se passe finalement pas grand-chose. Au-delà d’une véritable histoire, cet album propose une ambiance ; celle des ports et des bars louches, celle des marins et des pirates.

Le personnage principal a une belle profondeur, l’amateur le découvre paumé, amer, revanchard et prêt à tout. Il n’hésite pas à mentir, manipuler, menacer ou frapper. Au fil du temps, il gagne en assurance… même si les mains lui tremblent après qu’il se soit adressé à ses troupes. Son acolyte, Monsieur Novembre, demeure mystérieux et en retrait pour tirer les plus improbables ficelles.

Cette série s’est toujours démarquée par la qualité des textes et cet opus ne fait pas exception. Le ton se montre souvent poétique (« Ici les fortunes se font et se défont avec la brutale soudaineté des orages tropicaux, et par la suite de miracles dont il est préférable d’ignorer tout. »), les dialogues percutants (« Merci Sir Carey, mais les excellents garçons sont justement ceux que nous n’engageons pas. ») et l’humour pince-sans-rire (« Je commence par claquer les doigts, et si tu n’obtempères pas, c’est toi qui claque. »), bref, un bon travail d’écriture.

Le dessin de Frank Le Gall conserve son charme. Avec son trait semi-réaliste, il rend l’esprit et les contrastes des colonies orientales des années 1930 : tripots et grands hôtels, bourgeoisie occidentale et plèbe locale, frêles jonques et puissants bateaux à vapeur, etc. Le visage rond, lisse et inexpressif du héros présente peu de caractère. Il est néanmoins intéressant de constater que derrière ce masque enfantin se cachent des motivations complexes. Les cases sont nombreuses ; de formes et de formats variés, elles donnent beaucoup de dynamisme au découpage. Enfin, il y a peu à dire sur la mise en couleurs, sinon qu’elle est bien faite. Généralement lumineuse, elle contraste agréablement avec un propos dans l’ensemble plutôt sombre.

Un livre qui respire la nostalgie, les voyages au bout du monde et les vies qui se réinventent.

Moyenne des chroniqueurs
7.0