La mille et unième nuit

636 nuits déjà que Shéhérazade tient en haleine son royal époux par ses récits envoutants, mystérieux, et que le palais vit au rythme de ses paroles, émerveillé la nuit, s’endormant enfin à l’aube, rassuré. Car le sultan Shahriar, trompé par sa première femme, avait pris la désagréable habitude de faire étrangler ses compagnes, la première nuit à peine consommée. Soucieuse de nourrir l’imagination de la sultane, sa sœur Dinarzade erre dans les souks en quête d’histoires merveilleuses, quand elle rencontre l’infortuné Nasrudin, dont la famille est victime d’un sort maléfique lancée par Lilith, épouse du grand roi Salomon. Un charme qui ne peut être brisé que par Al Djazir, souverain des djinns, dont le palais maudit se cache dans le désert entourant la ville. Les destins de tous ces protagonistes vont s’entrecroiser, se lier, alors que de sombres menaces s’accumulent contre la cité de Rum.

Brassant tous les éléments emblématiques du conte oriental (ville chamarrée, caravanes de marchands, génies malfaisants, sortilèges, tempêtes de sable, rois légendaires, sans oublier les inévitables tapis volants…), les auteurs livrent un album dans la pure tradition des Mille et une nuits. Le scénario est passablement alambiqué, mêlant de plus en plus intimement deux intrigues principales : les tribulations du négociant en tissus, Nasrudin, et les péripéties de la ville de Rum autour du couple royal. Mais cette belle mécanique s’imbrique miraculeusement bien, et de hasards merveilleux en coups du sort inopinés, les destinées s’accomplissent. Non sans une certaine dose d’humour placide et d’ironie mordante. Et les quelques touches de poésie achevent de consolider ce fragile équilibre.

Le graphisme est à l’avenant, empruntant aux miniatures ottomanes certaines mises en pages enluminées, et multipliant les silhouettes enturbannées, les dunes mordorées, les bulbes et minarets, les sérails ombragés. Pourtant, le trait est épais, gras, nerveux, dénué d’encrage, loin de toute préciosité. Tout l’album est bâti sur une opposition entre couleurs froides – des bleus plombés, grisés, opalescents –, et couleurs chaudes – une large palette d’ocres et de bistres. Et, ultime originalité, de curieux effets de matières accompagnent les planches, une matité inhabituelle, comme si le dessin était réalisé sur papier calque. Le résultat est d’un esthétisme certain, un véritable plaisir de l’œil, pour accompagner celui de l'esprit.

Moyenne des chroniqueurs
6.8