Tyler Cross 3. Miami

T yler Cross n’est pas une mauviette. Dans son curriculum vitae, il y a des braquages, des évasions et des assassinats. Il est recherché dans cinq États américains et sa tête est mise à prix par la mafia. Lorsqu’il arrive à Miami pour recouvrer une somme qu’il a confiée à son avocat, l’ex-bagnard apprend que l’argent a été placé dans un projet louche. Le bandit prend alors les choses en main pour récupérer ce qui lui appartient : il menace, brutalise et ce n’est pas un cadavre de plus qui l’empêchera de dormir.

Avec Tyler Cross, Fabien Nury démontre qu’il est un digne héritier des auteurs de romans noirs de facture étasunienne. Dans ce troisième opus, il engage le protagoniste dans un sombre épisode de développement immobilier, lequel n’est finalement qu’un prétexte pour raconter une tragédie humaine faite de lâcheté, de trahison et d’un peu de loyauté… mais pas trop. Il y a de l’intimidation, des bagarres et l’hémoglobine coule à flots. Cela dit, l’anecdote est bien articulée et, au final, toutes les pièces se mettent en place.

Le rôle du narrateur y est fascinant ; aussi omniscient qu’omniprésent, il s’adresse régulièrement au personnage principal en le tutoyant. Il lui prodigue des conseils (« Concentre-toi sur ton objectif ») ou lui fournit des explications (« Tu as tellement d’ennemis que tu ne sais même pas qui les a payés »). Le scénario est par ailleurs découpé en quatre actes, auxquels s’ajoutent un épilogue, mais surtout un impressionnant prologue. Ce dernier est composé d'un quatuor de planches muettes au découpage serré, présentant les circonstances d’un meurtre dans une succession de gros plans conduisant à une vue d’ensemble sur un hôtel en construction, ironiquement nommé le Eden Blues.

La violence du récit est habilement tempérée par le travail de Brüno. Son trait, de tendance ligne claire et tout en rondeurs, a quelque chose d’enfantin, d’autant plus que les couleurs en aplats de Laurence Croix se révèlent par moments farfelues. Sur sa palette, la mer peut être orange, le ciel beige et l’asphalte jaune. Le dessin est efficient, sans être minimaliste ; l'artiste évite les détails inutiles, il est donc hors de question que l’œil s’égare, il ira exactement où le dessinateur en a décidé. Pas ailleurs.

Le choix des acteurs est convenu : les méchants ont des gueules de truands, les quelques gentils des tronches d’abrutis et les femmes des lèvres pulpeuses et des poitrines volontaires. Dans cet univers, la composition demeure relativement sage, elle est généralement construite sur cinq bandes pleine largeur. Loin d’être prisonnier de ce canevas, l’illustrateur n’hésite pas, s’il le faut, à doubler la hauteur des cases. Dans ces cas, il morcelle fréquemment la bande, un procédé qui permet notamment d’accélérer le rythme. Bref, l’artiste connaît son métier.

Le coup de pinceau est joli, sans être exceptionnel ; l'histoire est menée avec adresse, mais s’avère respectueuse des canons du genre policier. En fait, c’est l’efficacité de la démarche et la maîtrise des codes du neuvième Art qui impressionne. Se peut-il que le tandem offre à ses lecteurs une leçon d’art séquentiel, un peu comme Alfred Hitchcock donnait des cours de cinéma à travers des films populaires ?