Ailefroide Altitude 3954

À la fin des années 1960, Jean-Marc Rochette voue un culte à Chaïm Soutine, un peintre dont il admire l’œuvre dans un musée grenoblois. Le garçon a d’ailleurs un petit talent pour le dessin, mais réticent à l’autorité, il refuse de se laisser guider. C’est un peu par hasard qu’il croisera Sempé (pas l’illustrateur, un autre), qui l’initiera à l’escalade. Pendant quelques temps il croit que son destin est de devenir guide. Il réalise tout de même que s’il veut relever de nouveaux défis, ce sera au prix de risques de plus en plus importants. Autour de lui les accidents et les morts se multiplient d’ailleurs.

Le récit coécrit avec Olivier Bocquet est un conte initiatique. À l’aube de sa vie adulte, l’adolescent cherche sa voie, tourne le dos à la famille et se mesure à l’adversité, laquelle adopte la forme d’une collection de sommets à escalader de toutes les façons. Pour le non-initié, rien n’est plus semblable à une paroi rocheuse qu’une autre paroi rocheuse. Dans cet album, le héros en attaque pourtant plusieurs. Le lecteur pourrait craindre l’ennui dans ce copieux livre de 300 pages, mais c’est sans compter sur le sens du rythme des scénaristes qui excellent à mettre en scène les tensions, les doutes, les peurs et les joies des trompe-la-mort. Le bédéphile apprécie par ailleurs de voir doucement se préparer la carrière artistique du protagoniste qui fleurette avec la rédaction de L’Écho des savanes, avant de recevoir une proposition d’un certain Jacques Lob.

Les hauteurs et les grands espaces inspirent visiblement l’artiste. Alors que le créateur russe est obsédé par le rouge, ce sont le bleu et le blanc qui caractérisent le coup d’œil du personnage principal lorsqu’il trône sur les pics enneigés. Son trait, nerveux et presque sévère, traduit l’environnement hostile qu’il affronte. L’ouvrage propose du reste une abondance de cases verticales, lesquelles dévoilent des points de vue quasi subjectifs, généralement en contre-plongée lors de l’ascension, et en plongée au moment de la descente.

Un joli livre que Renaud aurait pu résumer ainsi : « C’est pas l’homme qui prend la montagne, c’est la montagne qui prend l’homme, tatatin. ».