Constant Souci Le Mystère de l'homme aux trèfles

C onstant Souci, « sportif, intellectuel, fluet mais costaud, astucieux et vif », moniteur d’éducation physique de son état, se fait engager par « La Sublime Porte », colonie de vacances particulière, dont les pensionnaires montrent une force surhumaine et une propension à taper sur tout ce qui bouge. Vite lassé de prendre des coups et de ne pas être écouté, le pédagogue démissionne et tombe sur le vieux Gédéon Pistil. Celui-ci, cueilleur de trèfles à quatre feuilles, le recrute pour le compte d’Esteban Grosobez Y Gazon. Derrière un abord jovial, faisant montre d’une chance insolente et improbable, le patron, à la tête d’un domaine aussi moderne que policé, semble pourtant avoir bien des choses à cacher. Plus Constant Souci voudra en savoir, plus les portes se fermeront.

En 1967, année de parution du Mystère de l’homme aux trèfles dans le Journal de Tintin, Michel Régnier, alias Greg, connaît tous les succès : il est rédacteur en chef de la publication d’Hergé (version belge), il produit Zig et Puce, Les As et Achille Talon. Il vient de lancer Bernard Prince et commence les aventures de Luc Orient et Bruno Brazil. Au milieu de cette hyperactivité, il trouve encore du temps pour créer une nouvelle série avec ce personnage naïf, déterminé et mu par des valeurs empreintes de justice et de pacifisme. Partant de ce postulat classique, Greg oriente rapidement son récit vers le loufoque. Sur un arrière-plan de Guerre Froide, il transforme une superstition en intrigue d’espionnage plutôt légère.

Si le parti pris narratif accuse bien ses cinquante ans, le graphisme résiste mieux aux affres du temps. L'auteur et son complice Dupa (Cubitus) aux décors optent pour un modernisme débridé. Architecture, armes diverses, moyens de transport, tout, dans la propriété de Grosobez, est excessif et inédit. S’inspirant des premiers opus cinématographiques de James Bond (avec des méchants aux repaires ultra technologiques), de Mon Oncle de Jacques Tati (les gadgets multiples et inutiles de la maison d’Arpel) ou des arrière-plans produits par Franquin dans Spirou et Fantasio à la même époque, les deux compères donnent une dynamique et une esthétique convaincantes à leur histoire.

Humour, rebondissements, bizarreries, clins d’œil et noir et blanc élégant font l’intérêt de cet album. À la dernière case, le directeur du camp pour les jeunes déclare au héros : « Vous êtes un philosophe doublé d’un grand sportif, effendi Souci ! Je vous prédis un grand avenir ! » Manque de clairvoyance : il n’y aura pas de second épisode. Une édition en album verra le jour en 1974, puis l’oubli jusqu’à cette réédition dans le cadre de la collection Patrimoine BD de Glénat. Plaisants sans être irrésistibles, ces premiers et derniers pas du professeur de sport aventurier s’adressent avant tout aux paléontologues de la franco-belge. Et ils sont nombreux.

Moyenne des chroniqueurs
7.0