La grippe Coloniale 1. Le retour d'Ulysse

V oilà un album qui, sous une approche légère et souvent fort drôle aborde avec profondeur un événement douloureux et méconnu de notre histoire nationale.

La Réunion. Dans notre inconscient collectif c’est avant tout un cliché tropical, une carte postale, une destination touristique, au mieux c’est depuis 1946 un département d’outre-mer. Mais a-t-on seulement à l’esprit que cette petite île de l’océan indien était encore au début du siècle dernier une possession française au statut colonial, dominée par quelques familles de riches planteurs ? Sait-on qu’elle paya à la France un lourd tribut en envoyant plusieurs milliers de ses hommes au combat et que leur retour eu pour elle des conséquences des plus funestes ? Cette période oubliée, vécue par des laissés pour compte de l’histoire, c’est celle-là qu’Appollo et Huo-Chao-Si ont choisi de nous conter.

1919. Le récit commence avec le retour à la colonie des poilus réunionnais, des hommes qui en Europe ont vu l’enfer. Ils l’ignorent encore, mais plus que leurs blessures de l’âme et du corps, ces vétérans rapportent avec eux le mal qui ronge l’Europe : la grippe espagnole. Cette terrible pandémie qui, au sortir de la première mondiale fit plusieurs millions de morts. La belle ordonnance de l’île qui vit encore à l’heure de vieille Europe, pourrait en être ébranlée et cette épidémie qui s’apprête à la toucher semblerait sonner comme le glas d’un monde ancien. Sûrs d’eux, les riches colons, pourtant alarmés par le consciencieux docteur Souprayen ne veulent rien entendre des menaces qui pèsent sur l’île. Sans le savoir, courant à leur propre perte, c’est toute la population de la Réunion qu’ils entraînent avec eux.

Mais comme nous l’annoncions, cet album n’a rien d’une pesant pamphlet anticolonial, c’est surtout une histoire humaine, forte et touchante qui suit le retour à la vie civile de 4 joyeux camarades. Il y a Evariste, le narrateur de notre histoire. Il y a cette grande brute sympathique de Grondin, il y a aussi Voltaire le fier tirailleur sénégalais et enfin, de Villiers authentique aristocrate créole et véritable gueule cassée. Retrouvailles célébrées au bordel, garden party dans une demeure coloniale ou partie de pêche, nos amis s’immergent dans leur chère île où rien ne semble avoir véritablement changé. Bien sûr derrière le rire se cachent des blessures profondes. Plus encore que les désillusions du retour c’est ce nouveau mal qui commence à frapper que ces derniers vont devoir affronter.

La rude expressivité du très beau dessin de Serge Huo-Chao-Si, rend plus attachante encore la destinée des personnages et les couleurs sensibles et douces de Téhem sont marquées de la couleur bleu horizon de ces uniformes que nos héros ne peuvent se résigner à quitter. Servie par un découpage aéré, l’histoire se déroule limpide et implacable vers son dénouement tragique.

L’album nous laisse sur une impression saisissante: bien que tout soit joué, on ne sait encore comment la tragédie sera exécutée. La grippe aura-t-elle raison du vieux monde ou tout rentrera-t-il dans l’ordre ? A découvrir dans le second et dernier tome : Cyclone la Peste.