Darnand, le bourreau français 1. 1/2

Q u'il est loin le temps où, accompagné d'hommes triés sur le volet, le sergent Joseph Darnand franchissait les lignes ennemies pour leur porter un coup fatal, sauvait un de ses surbodonnés et se voyait décoré et déclaré « artisan de la victoire ». Vingt ans après, à Nice, entre un travail qui l'ennuie et une femme qui le fatigue, il ne rêve que d'une chose, reprendre les armes et défendre la France et la vision qu'il en a. L'Histoire et l'Armée vont lui en donner l'occasion et 1940 sera l'occasion de renouer avec les distinctions. Mais Joseph en veut plus et ne s'arrêtera pas en si bon chemin...

Après les diptyques Kersten, médecin d'Himmler et Forçats, le duo Pat Perna/Fabien Bedouel poursuit son exploration des coins sombres de l'Histoire avec Darnand, un bourreau français. D'entrée, le scénariste plonge le lecteur au cœur de la Grande Guerre, genèse du lien entre le sergent Joseph Darnand et le tireur d'élite Ange Servaz. Un soir de fête nationale, une opération commando en territoire allemand lancera la carrière (et la réputation) militaire du premier et scellera l'amitié et le respect entre les deux soldats. C'est sous l'angle de cette relation, distendue et ambiguë, mais forte et sincère, que le récit est narré.

Construite intelligemment et menée sur un rythme élevé, l'histoire alterne les époques, entre les combats et les huis clos, sans trop en dire sur les événements d'entre-deux-guerres qui auront marqué la vie des deux protagonistes principaux. L'auteur dépeint ainsi par petites touches des individus marqués, plus à l'aise fusil à la main qu'en société derrière un bureau, qui garderont contact au gré des batailles menées en commun. « Jo » apparaît comme un héros, militaire hors pair et meneur d'hommes, qui fascine ses troupes même lorsqu'il bascule peu à peu dans la clandestinité et que, devant les (non-)décisions politiques qu'il trouve trop molles ou lâches, rejette la République et ses ordres. En ne dévoilant pas complètement les raisons de ces changements, Perna entretient le mystère et crée une tension qui grandit au fil des pages. Pourquoi ? Comment ? Quand ? Avec qui ? Jusqu'où ? Les questions fleurissent pour atteindre leur point d'orgue lors de la dernière séquence.

Depuis l'Or et le sang, Fabien Bedouel a prouvé son aisance pour brosser les scènes d'affrontements. Dans cet album, le dessinateur pousse un peu plus loin son style, à la fois épuré et riche. Son trait dynamique, à l'encrage léger, et l'utilisation récurrente d'aplats pour les décors, lui permettent de se focaliser sur les premiers plans et les personnages. Et même si, au passage, certains se ressemblent un peu trop pour les différencier au premier regard, il conserve une lisibilité appréciable. Chaque planche est claire et bien construite, l'immersion s'en ressent et l'attention du lecteur est constamment en éveil.

Efficace de bout en bout, ce premier acte lance de manière convaincante une biographie romancée sur une personnalité trouble de l'Histoire de France.

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