Mademoiselle J. 1. Il s'appelait Ptirou

A vant le réveillon et les cadeaux, rien ne vaut une bonne histoire pour faire patienter les enfants, surtout quand elle est racontée par l’Oncle Paul ! Celle-ci commence il y a bien longtemps, un peu avant la guerre. Ptirou, un jeune garçon déluré devenu orphelin, décide d’aller tenter sa chance en Amérique. Afin payer son passage, il s'engage comme mousse sur un gros paquebot à destination de New-York. Même s’il n’est pas question d’iceberg, la traversée va être des plus mouvementées. Heureusement, le gamin a de la ressource et croit fermement à son étoile.

Yves Sente et Laurent Verron s’unissent dans une collaboration inédite et étonnante. Si les deux auteurs sont des habitués des reprises (Blake et Mortimer, Thorgal pour celui-là, Boule et Bill pour celui-ci), leurs univers respectifs n’ont pas grand-chose en commun, particulièrement dans l’optique d’animer Spirou le temps d’un album. Entre fantaisie classique et exercice de style, ils ont choisi la seconde option. En effet, plutôt que de produire une énième aventure du célèbre groom, c’est du côté de son origine – la vraie ou presque – que le créateur du Janitor a décidé de se pencher. Il a imaginé un récit éminemment mélodramatique digne de Charles Dickens. Le héros méritant à l’âme juste doit se battre pour gagner sa place au sein d’une société de classe implacable pour qui n’est pas né au bon endroit. Cette frêle intrigue est sur-emballée dans une cascade d’incidents divers et d'innombrables clins d’œil amusants ou autres références historiques (c’est quand même l’Oncle Paul qui est aux commandes !). L’ensemble est imposant, autant par sa densité que sa longueur (sans oublier l’épilogue, évidemment). Un peu comme Yann dans Le maître des hosties noires, Sente a eu les yeux un peu trop grands pour son ventre. Résultat, l’accumulation de protagonistes secondaires et de fils narratifs à peine développés alourdissent passablement la lecture.

Ceux qui ont déjà parcouru les œuvres de Verron (période Le Maltais et Odilon Verjus) ne seront pas surpris, ils connaissent le talent du dessinateur ; les autres tomberont certainement sous le charme de son dynamique style semi-réaliste. Les planches, malgré des dialogues envahissants, sont tout bonnement somptueuses. La reconstitution des années 30 ne souffre d'aucune faute et est étincelante. Côté décors, le gigantesque vaisseau est impeccablement reproduit, de la splendeur des premières à l’étouffante atmosphère des ponts inférieurs. De plus, le découpage s’avère remarquable. Les angles de vue sont audacieux, mais maîtrisés, tandis que la très inventive mise en page rythme l’incessante valse des personnages. Il fallait au moins ça pour maîtriser l’imagination du scénariste !

Spirou quasiment néoréaliste, Il s’appelait Ptirou est victime de la soif de raconter d’Yves Sente, mais se rattrape grâce à l’impressionnant travail de son illustrateur.

Moyenne des chroniqueurs
7.0