Tamara de Lempicka (Greiner/Collignon)

D ans le club de jazz parisien bondé, quelqu'un se démarque par son aura manifeste et une présence indéniable. Tamara porte une cigarette à sa bouche et, au travers des volutes de fumée, recherche le modèle parfait pour un de ses tableaux, un nu, son domaine favori. Personnalité en vogue dans la capitale branchée, chacun veut s'afficher à ses côtés, mais l'artiste naissante choisit ses fréquentations, ne vous déplaise ! Négligeant l'invitation d'un beau cravaté, elle emmène, pour une danse languissante de sa spécialité, une brune autrement plus plaisante à ses yeux. Mais le divertissement ne dure qu'un temps et quand elle se résout à rentrer, c'est pour se retrouver face à au regard lourd de reproches de son mari. Famille et liberté, deux concepts difficiles à concilier pour une femme dans cette ville en effervescence des années vingt.

Après le passionnant Avant l'heure du tigre, le trop rare duo Virginie Greiner-Daphné Collignon s'attelle à un autre portrait de lady ou plutôt, une fine mais explicite tranche de la biographie de Tamara De Lempicka. En effet, le scénario ne s'embarrasse pas d'une succession d’événements cliniques, de précision temporelle ou d'explication contextuelle. Ce parti-pris judicieux permet de laisser s'exprimer la suave peintre slave. L'histoire ici n'a que peu d'importance finalement, l'artiste anticonformiste non plus, c'est la Femme dans toute son ambiguïté et sa splendeur qui importe. La période décrite la retrouve dans les prémisses de son succès en tant que représentante de l'Art Déco alors que les relations avec son époux Tadeusz sont au plus mal. Car oui, Tamara veut s'exprimer, vivre selon ses désirs et ses fantasmes afin que l'inspiration l'envahisse et l'enivre. La narration ne cherche ni la démesure ni l'accentuation du côté sulfureux des mœurs libérés de la divine. Elle dévoile l'insolente volage au travers de ses contacts (sa sœur, sa fille, des célébrités comme André Gide et Jean Cocteau... ), son émancipation dans le milieu dit débauché et la recherche de Raphaéla, personnage manquant de son tableau.

Daphné Collignon propulse le lecteur dans l'ambiance rétro des années folles grâce à son style élégant, éminemment personnel. Les regards sont magnétiques et la sensualité, à la fois évidente et contenue, transparaît des corps. Les tons de jaunes, roses et bruns-dorés accordent un rendu chic de vieux films, une esthétique délicate au caractère prononcé en accord parfait avec le thème car, sous le raffinement sobre du graphisme, couve l'intensité du sujet.

À des années-lumière d'une exposition scolaire, cet ouvrage, tout en subtilité, projette l'admirateur dans l'intimité d'une destinée talentueuse au détour d'une courte période d'existence certes, mais suffisamment intense pour appréhender dans son essence une figure précurseuse de la modernité au féminin.

À lire pour découvrir, de la même époque, une autre femme de caractère : Colette

Moyenne des chroniqueurs
8.0