Souterrains

L a vie quotidienne à la mine charrie son lot de corvées, de sueur, de douleur et de peur. Hommes et chevaux vivent un enfer permanent au fond des galeries ; les épouses attendent fébrilement la fin de la journée, dans la crainte d’un coup de grisou ou d’un accident. Alors, certains contestent, dénoncent et tentent d’ouvrir les yeux de leurs collègues sur les inégalités, la pénibilité du travail et le joug du patronat. La parole syndicale se structure et les « Rouges » commencent à se faire entendre. Cependant, la direction souhaite tester une toute nouvelle machine qui devrait alléger la tâche des mineurs, mais qui pourrait également supprimer des emplois. Un groupe de six hommes expérimentés est chargé des tests. Mais ce qu’ils vont découvrir et vivre sous terre dépasse tout ce qu’ils auraient pu imaginer.

Souterrains, après Pacifique, est la seconde réalisation de Romain Baudry. Venant de l’animation, il assure le scénario et la mise en image. Le jeune auteur multiplie les sources et produit une œuvre cohérente et prenante. La mine et ses corons renvoient inévitablement au Germinal d’Émile Zola, dont il prolonge la peinture du syndicalisme naissant et de la lutte des classes. Par ailleurs, l’aventure vécue par les personnages principaux relève de l’imaginaire le plus débridé de Jules Verne. Dans l’esprit du Voyage au centre de la Terre ou des Indes noires, Baudry poursuit l’exploration d’un monde souterrain habité. C’est aussi la proto Science-Fiction qui est convoquée, avec son lot de robots aux formes généreuses et ses créatures surdimensionnées. Du côté du neuvième Art, on songe à Blake et Mortimer (L’Énigme de l’Atlantide) ou à Tintin (Vol 714 pour Sydney). Les super héros d’outre-Atlantique ne sont pas loin non plus.

La prouesse graphique consiste à rendre la sensation oppressante des profondeurs sans nuire à la fluidité ou au plaisir de la lecture. La mise en couleurs subtile d’Albertine Ralenti, qui soutient un graphisme parfait, y est pour beaucoup dans cette réussite esthétique. Saisir la moindre lueur au cœur des ténèbres est le défi que relèvent le dessinateur et la coloriste, sans pour autant négliger les scènes de surface rendant si bien les teintes de l’univers minier (brique rouge et architecture métallique).

Peinture du prolétariat, réflexion sur les contre-pouvoirs, récit fantastique, allégorie sociale : Souterrains est tout cela à la fois. Avec son lot de trahisons, de rebondissements et d’humour, ce généreux album de 134 planches est accompli et prometteur pour les prochaines réalisations de son auteur.

Moyenne des chroniqueurs
7.3