Sérum

A h, le bruissement des passants, le ballet des lumières, les avenues animées... Non, quelque chose détonne. Dans ce Paris-ci, les rues sont vides, tout est éteint et des checkpoints jalonnent régulièrement les trottoirs. Comme pour narguer le couvre-feu, l'aube pointe à l'horizon. Il est temps pour Kader de commencer l'inspection du champ d'éoliennes à l'orée de la capitale. Une routine fossilisante, des collègues insipides, tout est fait pour l'enfermer dans une solitude terne, interrompue seulement par ses visites nocturnes à Déborah sur holoporn. Si c'était ça le pire. Non, le plus pénible, c'est l'effet de la zanadrine. Une substance injectée en guise de sanction à certains crimes et qui inhibe le mensonge. Car oui, en 2050, la transparence est exigée ! Le gouvernement en place brandit la vérité comme un étendard et, de fait, gage d'une société parfaite. Mais charité bien ordonnée commence par soi-même. En effet, ce soit-disant idéal hypocrite ne fait pas l'unanimité : des slogans apparaissent sur les murs, des attentats perturbent l'ordre établi...

Continuant son exploration de l'Homme dans toute sa complexité, Cyril Pedrosa (Portugal, Les équinoxes) refroidit l'atmosphère en proposant une dystopie au thème glacé : la vérité absolue et omnipotente. Il plante le cadre de l'intrigue à une époque relativement proche, dans un environnement familier, ceci afin de faire résonner l'avertissement au plus près du lecteur. Au travers du registre politique mais aussi sentimental, l'auteur dévoile, d'une écriture sèche, le quotidien de son personnage, marionnette prisonnière de son honnêteté et manipulée de toutes parts car, il ne faut se leurrer, sous la façade des jolies prétentions, les vices cachés abondent. Délesté de la prétention d'une démonstration, cet exemple clinique de dérive en possède tous les arguments.

Nicolas Gaignard va à l'essentiel : un style réaliste et simple, utilisant un trait nerveux qui ne s’embarrasse pas de fioritures ni de décors chiadés. Associé à une mise en page classique (gaufriers et grandes cases sur trois bandes) et une palette de couleurs restreintes, ce dépouillement et cette uniformité retranscrivent parfaitement l'ambiance générale aseptisée. Le résultat n'est pas forcément hautement esthétique mais très efficace. L'impavidité affichée des personnages fait froid dans le dos.

Cet ouvrage n''a pas pour ambition d'apporter une solution à un débat vieux comme le monde, mais bien de montrer, de façon intelligente et pertinente, qu'il n' y a justement pas de réponse. Croyez-le ou pas.

Moyenne des chroniqueurs
6.5