Betty Boob

E lisabeth n'en a plus qu'un... Un quoi ? Mais, un sein pardi ! À son réveil, à l’hôpital, la jeune femme pense plus à récupérer le bocal contenant son attribut qu'aux malaises de son homme. C'est ainsi que commence le deuil d'une part de sa féminité. Cette étape nécessaire risque d'être longue, mais cela pourrait bien être un nouveau départ, une nouvelle vie qui débute.

Véronique Cazot s'empare d'un sujet ardu de manière originale, avec tant de naturel qu'il est impossible de lâcher cet album avant la toute dernière page (et encore !). Comme elle l'avait fait pour l'avortement et le non désir de maternité avec la série Et toi, quand est-ce que tu t'y mets ?, elle choisit de se concentrer sur un sujet souvent éludé.

Quand bien même les coups de mou, les moments de faiblesse n'épargnent pas son personnage principal, celle-ci possède une telle envie de vivre, d'exister et de vibrer qu'elle se relève et avance. Bien sûr, les angoisses et les démons rattrapent Élisabeth mais ils ne la tiennent jamais longtemps. Au lieu de se focaliser sur la maladie et son traitement, la scénariste s'attache à la reconstruction, en tant que femme et au sens large, après une mastectomie. Sa Betty ne « cache » pas son opération, au contraire, elle choisit de l'assumer et de montrer son corps. Le but n'est pas de choquer mais de rappeler qu'être une femme, ce n'est pas avoir deux seins (même refaits). La féminité donc, le regard des autres, le rapport à son corps, le poids de la société à travers le paraître et le sentiment de rejet qui en découle sont abordés.

L'utilisation de la caricature, bien présente, a pour effet de mieux pointer voire dénoncer le vide, l'incompréhension et la solitude face auxquels son héroïne est plongée. Sans dialogue - ou si peu - l'autrice parvient à saisir toutes les émotions et les échanges qui parsèment la reconstruction d’Élisabeth et son combat pour s'épanouir dans le corps qu'elle a choisi. En évitant de tomber dans le pathos, elle insuffle une joie incroyable à ce destin complètement fou. Pour y parvenir, elle s'appuie sur le burlesque et une troupe haute en couleurs qui donnent une teinte « année folles » à son histoire pourtant contemporaine. Cette nouvelle famille n'a cure des apparences, se joue des différences et les assume. Le résultat est sans appel : sur un thème grave, l'autrice réussit à laisser un sourire énorme sur le visage du lecteur. Tout en pointant les incohérences et en raillant les difficultés que le monde ajoute à une telle situation, elle crie haut et fort le droit de choisir comment supporter les épreuves que la vie réserve.

Le bédéphile curieux et averti qui avait laissé Julie Rocheleau dans sa Petite patrie, la retrouve ici plus en verve que jamais. La dessinatrice de La Colère de Fantômas a arrondi son trait et opté pour des couleurs plus douces mais son style reste identifiable entre mille. Plein d'énergie, d'entrain, son dessin donne un souffle indéniable au récit de sa complice et embarque dès les premières planches. Jouant sur le découpage, les angles ou les cadrages, elle multiplie les variations pour surprendre et appuyer sur les émotions qui transpirent des séquences. Tantôt la peur, l'effroi ou la tristesse, tantôt la rage de vivre, l'amour ou la joie, l'éventail d'expressions est large et à chaque fois frappant de justesse. Sur un rythme endiablé, les pages défilent et se dégustent, lumineuses et fortes. Une prestation de grande qualité qui prouve, un peu plus, le talent d'illustratrice de la dessinatrice montréalaise et sa facilité à narrer.

Poétique, plein d'humour, émouvant, féministe également, Betty Boob est un drôle de bouquin entre la fable burlesque et la leçon de vie, superbement mis en image, qui met du baume au cœur. Assurément l'une des belles surprises de la rentrée 2017 qu'il serait dommage de rater.

Lire la preview.