Extases 1. Où l'auteur découvre que le sexe…

I l existe des livres qui font parler d’eux bien avant leur sortie. Un programme éditorial dévoilé un peu en avance, un thème sulfureux, un auteur qui achève tout juste une jolie série à succès sont les quelques ingrédients qui peuvent rapidement enflammer les réseaux sociaux. Avec toutes les réserves et la prudence dont devrait faire preuve chaque lecteur, il faut dire que le sujet d’Extases a tout pour faire jaser : Jean-Louis Tripp raconte dans une série - et en quatre tomes s’il vous plait - sa vie sexuelle. Comment peut-on allègrement passer de Magasin Général, un roman graphique plutôt féministe, à un ouvrage qui a rarement rassemblé autant de phallus différents en si peu de pages - quasiment trois cents ceci-dit ? Surtout, quelle est son utilité, mis à part étaler ses performances sexuelles pour épater une galerie déjà acquise à sa cause ?

Le récit commence à la troisième personne, presque sagement. Même s’il ne fait aucun doute sur l’identité de « petit Jean-Louis », le narrateur prend une certaine distance avec ce garçon plutôt timide qui vit ses premiers émois. Le contexte familial, historique également - mai 68 même en Province a laissé quelques traces - est abordé de façon précise et sert d’entrée en matière. Là où une crudité excessive ou une vulgarité dérangeante étaient à craindre, l’auteur détaille avec une précision chirurgicale les états émotifs qui traversent l’esprit du jeune puceau. De la tendresse, évidemment, mais surtout l’impression d’un propos universel qui ravive certains souvenirs qui semblaient être enfouis loin, très loin, dans l’enfance.

La rencontre avec Caroline, son premier amour, marque l’abandon du « il » pour l’utilisation du « je ». L’âge adulte se rapproche et avec lui, le temps de l’émancipation. Si certains se demandent encore ce que signifie exactement une « vie sexuelle riche », la lecture d’Extases se révèle ô combien instructive. Sans vantardise aucune, mais sans non plus omettre le moindre détail, Jean-Louis Tripp étale ses multiples expériences : la vie de couple notamment, la première, celle passionnelle qu’on n’oublie pas, quand le mot "jamais" est proscrit et que le champ des possibles est infini. Puis les premiers doutes et les premières frustrations qui viennent quand l’envie d’explorer l’interdit devient trop forte. Chaque situation est amenée avec humour tout en intellectualisant l’acte - oui, intellectualiser une orgie est possible. Un alter ego déguisé en diable prodigieusement bien membré sert de confident ou de conscience, c’est selon.

Le gaufrier classique se transforme parfois en pleine page quand une émotion particulièrement forte surgit - l’une d’entre elles est facile à deviner. Aucune couleur mais un dessin efficace, qui ne cache aucune partie de l’anatomie. Pas de bimbo siliconés, pas d’ersatz de Rocco, les personnages imaginés par Jean-Louis Tripp qui, contrairement à lui, ont tous été modifiés, sont on ne peut plus classiques et renforcent l’identification.

Aude Mermilliod déclarait dans une récente interview publiée ici-mêmeque "le regard masculin sur la sexualité est d’utilité publique et qu’Extases est tout simplement un album génial". Avec toutes les précautions d’usage qu’il faut prendre compte tenu de sa proximité avec l’auteur, il est bien difficile de ne pas lui donner entièrement raison.

Moyenne des chroniqueurs
8.0