Mikaël, ou le mythe de l'homme des bois

M ikaël, garde forestier, est le héros des bois dont il est le gardien. Les articles publiés dans L’Écho de la forêt noire, sont du reste éloquents : « La patte broyée dans le piège du Jogger : Boris le loup est soigné par Mikaël à l’Office de la forêt », « Ginette la hase sauvée de la noyade par Mikaël » ou encore « Un terrible incendie : Une fois de plus Mikaël sauve la forêt noire ». Dans cette civilisation paradisiaque, les bûcherons sont gentils et prévenants (même s’ils ont de sales gueules), les hommes discutent avec les bêtes et les oiseaux servent le café.

Tout n’est cependant pas rose pour le protecteur des lieux. Certains animaux jugent qu’il n’est pas vraiment des leurs et complotent pour l’éliminer. Puis, il y a ce braconnier qui a tué le roi Louis, un cervidé admiré par toute la ménagerie. Enfin, la sentinelle est hantée par ses démons. De nombreux drames ont ponctué la jeunesse du protagoniste. Ce dernier a été élevé par des fourmis après s’être égaré, abandonné par son mentor et souffert du tragique décès de sa bien-aimée. Il a oublié ces mésaventures, mais en a tout de même constamment des réminiscences. Il ne manque par ailleurs pas d’en retrouver les traces dans cette oasis de nature somme toute petite ; à peine vingt-cinq kilomètres carrés si l’on en croit le plan imprimé en début d’ouvrage.

Le récit de Fabien Grolleau est décoiffant. Sa fable écologique aux accents surréalistes va dans toutes les directions. Découpée en cinq actes, l’histoire scrute la vie du personnage principal, son enfance et ses tragédies dans ce microcosme quasi idyllique, bien qu’il soit bordé par une autoroute qui rappelle que la modernité n’est finalement pas très loin. La localisation exacte de l’endroit est indéfinie. Ce pourrait être les tropiques évoqués par les singes et les guépards, à moins qu’il ne s’agisse du Nord où vivent les ours et les sangliers qui gambadent dans cet ouvrage.

Cette contrée est une synthèse de tous les mondes inexplorés, tant physiques que psychiques. En s’y aventurant, le bédéphile pénètre dans l’univers tortueux du poète. Pour s’orienter dans cette luxuriance, il devra suivre le guide. L’accompagner dans la cité perdue, puis à la vieille cabane de Roberto, pagayer avec lui sur la Koutoukmak et rencontrer les peuples troglodytes.

Le propos est merveilleusement servi par un dessin à l’encre et au lavis. Les illustrations sont foisonnantes, vacillantes et presque à l’état sauvage. Souvent, elles prennent la forme de croquis réalisés dans l’urgence. De l’ensemble se dégage pourtant une solide harmonie. Les compositions sont réussies et l’artiste n’hésite pas à leur offrir des planches complètes, voire des doubles pages, parfois sans y insérer le moindre phylactère. Le lecteur est alors invité à apprécier en silence, comme il est de coutume de le faire face à un beau paysage.

Une bien agréable balade dans un monde chimérique.

Moyenne des chroniqueurs
7.5