Guirlanda

Guirlanda, un paysage de douces collines herbeuses où résident les Guirs, paisible peuplade d’anthropomorphes placides et bienveillants, une terre parcourue de créatures toutes plus étranges et extravagantes les unes que les autres. À l’heure où le chamane de la tribu est assailli de visions annonciatrices de grands changements à venir, son fils Hippolyte se met en route vers la Lagune aux nids, à la recherche de sa femme Cochenille, disparue depuis plusieurs jours et qu’un museau fripé affirme avoir vu se diriger vers ce traditionnel lieu de délivrance des Guiresses enceintes. Las, chemin faisant, le pauvre bougre provoque incidemment la colère du Mont Rauque, et déclenche une succession de bouleversements qui vont mettre la contrée sens dessus dessous. Il lui faudra alors quitter famille et foyer pour accomplir une périlleuse mission aux confins du monde afin de rétablir l’ordre des choses…

Se réclamant à la fois de Moebius et de Fred, tenant de l’allégorie philosophique et de la fable fantastique, alliant des bribes de récits mythologiques à un substrat éminemment fantaisiste, l’album entraîne le lecteur dans une folle sarabande pleine de rencontres et de poésie, un voyage débridé jusqu’aux tréfonds de Guirlanda. Faisant la part belle à l’onirisme, aux songes, aux hallucinations, parsemé de longues séquences improvisées transcrivant les visions des protagonistes, l’ouvrage pourrait paraître un brin hermétique ou nébuleux à qui le feuilletterait négligemment. Il n’en est rien ! La narration est fluide, le texte a la délicatesse simple et gracieusement imagée d’une vieille légende narrée à la veillée. L’histoire – tour à tour drôle ou funeste, mais tout à fait prenante – est parfaitement maîtrisée, le rythme soutenu malgré les presque quatre cents pages. C’est même là le reproche principal qui peut être fait au livre, entraîner une forme d’empressement hâtant sa découverte : les vignettes imposantes, les scènes muettes, le suspens bien présent, autant d’éléments à combattre à qui souhaite faire durer le plaisir.

Car le plaisir est bel et bien là : dans les fabuleuses aventures d’Hippolyte, assurément, mais aussi – voire surtout, pour les aficionados du dessinateur – dans l’élégance toujours renouvelée du dessin de Mattotti. Virtuose-né, au trait virevoltant, délié, libre et audacieux, il déploie ici de larges compositions, tantôt aérées, vaporeuses, tantôt surchargées, encombrées de détails, et toujours éminemment sensibles. Travaillant une fois encore à l’encre, il troque ici le pinceau pour la plume, déployant son bestiaire fantastique avec hardiesse, insufflant dynamisme et justesse à ses personnages. Après quatorze années consacrées essentiellement à l’illustration, ce retour en force – avec son vieux complice Kramsky – vers la bande dessinée est une réussite enchanteresse qui ravira les amateurs de contes.

Un dernier mot sur l’édition : dos toilé, couverture en épais carton brut, elle est aussi élégamment soignée que potentiellement fragile à la longue, encore qu'il soit surtout dommageable que le beau papier ivoire choisi, bien qu’assez épais, manque d’opacité et laisse transparaître le dessin aux versos des pages. Un pinaillage de bibliophile, certes, au regard de la qualité du contenu.

Moyenne des chroniqueurs
7.3