Puppy

U ne pattounette griffue jaillit soudain de l’humus sombre et froid d’une nécropole endormie : tel un zombie de série Z, voici le chiot Puppy, revenu d’entre les morts, pour un dernier tour de piste sur terre. Maitrisant difficilement sa nouvelle mais fragile constitution, il ne cesse de semer des morceaux de sa carcasse, un os par-ci, par-là, parfois sa tête va rouler au loin, mais c’est surtout sa truffe qu’il s’échigne à perdre et retrouver tout au long de l’album. Comme tout chien qui se respecte, il court après la baballe, lève la patte tous les trois mètres pour marquer son territoire, et est en quête d’affection. Dans le monde de Puppy, les humains étant réduits à l’état de fantôme évanescents, il va alors chercher à ressusciter une adorable petite cocker pour lui tenir compagnie au sein de son cimetière pour animaux domestiques.

Réalisant l’idéal de tous les cabots de la Bande Dessinée, Milou ou Idéfix en tête, le héros de Luz évolue au milieu d’un monceau, d’une pyramide d’ossements… Las, s’agissant de restes de ses congénères, le rêve vire au cauchemar macabre, la farce est tragique, le burlesque des situations prend un tour morbide. Largement teintée d’onirisme, l’errance effrénée du toutou est dépeinte sous la forme de saynètes muettes, tenant aussi bien du comic strip des origines que des comédies slapstick, le tout saupoudré de poésie surréaliste. Mais par-delà la joyeuse insouciance du jeune Puppy bondissant, se devine la solitude, l’incommunicabilité, l’impossible reconstruction après le drame qui vous a séparé du monde des vivants… autant de thèmes apparaissant en filigrane de cette course éperdue.

Dans la droite ligne de son précédent opus, mettant puissamment en images Ô vous frères humains, Luz livre une œuvre libérée des contraintes formelles que sont les cases, les bulles, et met en pages les pérégrinations de son héros d’un pinceau audacieux, inventif, dense, parfois à la limite de l’abstraction, mais toujours terriblement expressif. De nombreuses illustrations en pleine page viennent renforcer le caractère contemplatif et fantasmatique de l’histoire, apportant de salutaires respirations au milieu de cette quête échevelée. Quand les noires idées d’un auteur tourmenté s’incarnent, c’est sous la forme tragique d’une chimère, luttant pour garder un semblant d’intégrité physique, un simulacre follet, à peine conscient de lui-même. Une lecture exigeante, car si la tendresse affleure, si l’humour transparaît, le désenchantement reste un éternel vainqueur.

Moyenne des chroniqueurs
4.5