Le porteur d'histoire
C
ette histoire démarre le 14 juin 2001 par une rencontre au fin fond de la campagne algérienne entre un voyageur perdu et deux femmes qui vivaient là. Non, en fait, tout avait débuté en mars 1988, avec un fils venu en terre ardennaise y régler la succession de son père défunt. Ou plutôt, cela commença véritablement en mai 1822, dans une diligence emmenant une mystérieuse jeune femme et un aspirant écrivain vers Paris. À moins que ce ne soit en pleine Peste Noire, en 1348, lorsque le pape Clément VI reçut en Avignon une étrange visiteuse. Voire dès l’an 258, dans les catacombes de Rome, le long de la voie Appienne ..? En tout cas, c’est une histoire de trésor. Et puis de famille, aussi. Et de conquêtes, un peu. Et de savoir, sûrement.
Bâtie comme une succession de récits, enchâssés les uns dans les autres comme autant de poupées russes, l’intrigue offre une plongée assez vertigineuse dans l’Histoire avec un grand H, tout en multipliant les clins d’œil distanciés entre réalité et fiction. Comme dans la pièce éponyme dont est tirée cette adaptation, les auteurs explorent la relation entre certitude historique et construction romanesque, poussant l’interrogation dans ses derniers retranchements : le passé n’est-il pas plus vivace et tangible aux détours des re-créations imaginaires des feuilletonistes ? Est-il si déraisonnable d’accorder du crédit aux racontars des fabulistes ? Où se situe la vérité dès lors qu’on questionne la mémoire des hommes ? S’ensuit donc un écheveau de fils narratifs entrecroisés, un jeu de piste littéraire à travers les époques, tout cela convergeant fort justement jusqu’au dénouement qui, bien qu’un peu rapide et sans doute pressenti, accroche finalement un sourire complice aux lèvres du lecteur.
Si la pièce d’Alexis Michalik se caractérisait par une mise en scène dépouillée et une absence de décor, sa transposition faite par Christophe Gaultier s’inscrit dans une veine plus naturaliste, semi-réaliste, portant attention aux cadres, aux costumes, aux couleurs… Le trait parfois sec et énergique du dessinateur se fait ici plus rond, gras, les ombres portées au fusain achevant de donner une patine très dix-neuvième siècle au graphisme, les scènes se passant sous la Restauration semblant tout droit sorties de carnets de Daumier.
Une relecture sensible et malicieuse du thème rebattu de la société secrète, offrant quelques beaux portraits de personnages et un élégant badinage ludique autour de l’œuvre d’Alexandre Dumas.
7.5