Vincent, mon frère mort-vivant - Au pays des Ombres Vincent, mon frère mort-vivant

A vec Vincent, les limites de la bêtise ont été dépassées. Simplet de son vivant, Vincent l'est resté après sa mort, si bien qu'il n'a pas encore tout à fait saisi le tragique de sa situation. Bref, Vincent est mort et il ne le sait pas ! Enfin, "tragique" est un bien grand mot et sa condition de mort-vivant, il faut reconnaître que ce grand idiot la vit assez bien. Doté du pouvoir d'ouvrir en grand les portes du royaume des morts, le gentil trépassé visite souvent le monde des vivants, à la plus grande joie de son jeune frère Antoine. Mais leurs jeux dans les allées du cimetière prendront bientôt fin avec la disparition brutale de Vincent. Seul indice auquel se raccrochera Antoine, une affiche Wanted, placardée dans tout le royaume des morts. Accompagné dans sa quête par Satan en personne, bien décidé à remettre un peu d'ordre dans son royaume, Antoine bravera mille dangers pour retrouver la trace de son frère.

Vincent, mon frère mort-vivant débute comme un récit psychologique: Antoine, gamin solitaire, s'est inventé, pense-t-on, un ami imaginaire sous les traits de son frère décédé. Puis, très vite, la trame bascule dans le conte fantasy. Jean-Marc Mathis nous présente une image assez inédite de l'au-delà, où les cow-boy terrassés par une méchante grippe errent à la recherche d'un dernier duel, où les médiocres, frustrés de leur vivant, profitent de l'éternité pour assouvir leur rêve de domination.

La quête de ce frère disparu est ici le fil rouge d'une pelote qui conduira Antoine, accompagné d'un Satan décidemment bien serviable, à travers l'étrangeté de ce monde. Et si le dénouement est un peu décevant, c'est tout oublier de la captivante aventure qui l'a précédé. Sans prétention, les auteurs nous offrent une lecture d'évasion, ce que la BD ne devrait jamais cesser d'être.

L'apparente simplicité du graphisme est sans doute l'un des points forts de l'album. Centré sur les personnages, au détriment parfois des décors, le découpage des planches compte néanmoins de belles trouvailles, comme cette chevauchée nocturne d'Antoine et du cow-boy qui, sous la lumière de l'éclair, révèlera la dizaine d'Ombres lancées à leur poursuite. Les pleines pages et les séquences de cases surdimensionnées donnent au dessin de Thierry Martin un rythme et une lisibilité qui viennent renforcer le plaisir de lecture. Visuellement, les personnages, leurs comportements, leur postures, sont trés réussis, à l'image d'un Satan fébrile et un rien maladroit, ou encore de Vincent, le frère mort-vivant, désarmant de naïveté, le visage barré d'un constant sourire. Les couleurs méritent également notre attention. Les gammes vives de verts pâles, de beiges et d'oranges mêlées aux rouges ocres illustrent assez bien le caractère mystérieux et instable de l'au-delà de Vincent.

La collection Latitudes accueille, une fois encore, un récit aux antipodes de la production habituelle de Soleil. Plus risqué car simplement moins stéréotypé, chaque album de la collection devient une carte blanche laissée aux mains d'auteurs aux univers bien singuliers. Avec Vincent, mon frère mort-vivant, on partage le plaisir qu'ont pu avoir Jean-Marc Mathis et Thierry Martin à exploiter le format et l'envergure de leur album.