ÉtuŋwAŋ : Celui-Qui-Regarde

À 33 ans, Joseph Wallace veut donner un nouvel élan à sa vie de photographe. Même si dresser des portraits des notables de Pittsburgh en 1867 lui permet d’être à l’abri du besoin, des envies d’évasion et d’espaces sont de plus en plus présentes, quitte à laisser femme et enfants seuls pendant de longs mois. C’est dans le cadre d’une expédition organisée par le gouvernement américain que Joseph prend la route vers l’Ouest en compagnie de scientifiques. Leur mission : cartographier de nouveaux espaces et recenser, pourquoi pas, des nouveaux gisements de matières premières. Recruté pour mettre en images le voyage, il est bouleversé par une rencontre avec des membres de la communauté indienne des Sioux Oglalas. De retour au bercail, sa seule envie sera de repartir.

Pour ceux et celles qui pensaient ouvrir l’album en y découvrant un western épique, fait de batailles sanglantes entre cow-boys et indiens, Etunwan risque de décevoir fortement. Non, le récit imaginé par Thierry Murat est avant tout contemplatif. « Le temps n’existe pas » est l’une des paroles d’une jeune indienne. Le temps n’existe pas non plus pour le lecteur qui parcourt les images, certes statiques, mais d’une beauté saisissante. Il serait vain d’avoir la prétention de recenser tous les thèmes abordés, d’autant qu’ils sont sans doute différents suivant la sensibilité de chacun. Au-delà de la mission de témoin d’une extinction annoncée que Joseph a endossée à bras le corps, l’auteur d’Elle ne pleure pas elle chante aborde l’amitié et ses difficultés à résister au temps. Il se penche également l’intérêt de la photographie et le rapport à l’image, sujet déjà abordé cette année dans Stupor Mundi, ou encore sur le sens qu’un homme souhaite donner à sa vie.

Les quelques poncifs disséminées passent finalement sans difficulté. La rencontre avec Papillon, aussi romantique qu'elle soit fut, était-elle vraiment nécessaire ? Pour le premier album de Thierry Murat en solo, si les adaptations comme Les Larmes de l’Assassin ou Le vieil homme et la Mer sont mises de côté, c’est une jolie réussite. Il serait facile de reprocher des cases immobiles, manquant de dynamisme, ou des expressions trop figées. C’est au contraire par ce biais que le regard se pose, à son propre rythme, sur un paysage ou un visage, va chercher un détail passé inaperçu au premier abord, ou se détourne un moment pour laisser l’esprit vagabonder. La douceur des couleurs, généralement chaudes, renforce cette impression d’apaisement.

Album charnière dans la bibliographie de Thierry Murat, Etunwan est remarquable par la symbiose opérée entre le propos et l’image. Quasiment indispensable.

Moyenne des chroniqueurs
8.0